vendredi 24 février 2012

Lettre à Judith


De : Panneton, Luc, réalisateur à l’autopromotion, Historia
À : Brosseau, Judith, Vice-présidente principale, programmation et communications Historia
Envoyé : Wed Jun 11 10:50:37 2008
Objet : les mots


Bonjour Judith,

Lors de notre dernier lunch il y a quelques semaines, tu as souligné l'importance de la qualité des textes des autopromos sur Historia. J'ai dit oui, parce que j'en suis. Je n'ai rien ajouté parce que, dans mon esprit, il restait tout de même quelques zones à éclairer.

Depuis plusieurs mois, je travaille à créer une synergie avec les collègues de la chaîne, aussi bien aux Communications qu'à la Programmation et aux Services créatifs, pour bien saisir Historia. Dans un premier temps, comprendre comment se pense la chaîne, saisir la vision des Élise, Sophie et Fabrice, histoire de voir qui nous sommes et où nous allons. Ensuite, de travailler avec la gang des services créatifs à intéresser le public à nos contenus. J'ai le sentiment ainsi de donner au texte de la perspective, d'élargir son sens, de l'aligner sur une vision. Ce ne sont pas les outils ni le talent qui manquent.

Aux Services créatifs, l'idée est de profiter, dans le bon sens du terme, de la créativité du monteur et des gars de son. De cette façon, les mots, les sons, les images, le rythme, la voix, la musique, vont donner forme à la vision et l'alignement des Communications et de la Programmation. Pour que, en bout de ligne, le produit final donne à entendre davantage que la somme de ses parties, qu'il soit à la hauteur des attentes de tout ce beau monde. Et si, au passage, nous réussissons à surprendre le public pour l'intéresser à nous, nous ne dirons pas non. Le talent créatif dont dispose Historia ne demande pas mieux que de répondre à un tel mandat.

L'autopromo est la carte de visite de la chaîne à l'écran de notre public. Nous devons lui faire une offre à laquelle il dira oui, vous m'intéressez, en quelque part, vous venez me chercher. Ce sera le travail des mots de nous tous. Les tiens seront les premiers.

Merci et au plaisir

Luc

mardi 21 février 2012

Admirer du ketchup


Si je vous pose la question Est-ce que tu admires une banque?, vous me demanderez probablement de préciser ma pensée. C’est exactement l’exercice que j’ai fait à la lecture du titre d’une pub de la Banque de Montréal (BMO), De nouveau « la banque la plus admirée des Québécois ». Merci encore.

La BMO tire cette annonce du Palmarès des 250 entreprises les plus admirées des Québécois, publié chaque année dans le journal Les Affaires. La BMO se classe au 97è rang sur 250 entreprises, selon le sondage de la firme Léger Marketing. En passant, la pub ne parle pas du rang, il faut fouiller pour le trouver.

Pensez aux gens que vous connaissez, votre famille, vos amis, relations, connaissances, collègues, etc. Vous arrivez facilement à 100, 200 personnes, peut-être. Savez-vous le nom de la 97è personne que vous admirez? Peut-on avoir l’admiration si facile?

Est-ce que j’admire une banque? Non. J’ai déjà admiré les locaux de la succursale 001, le « siège social » de la BMO, rue St-Jacques, avec ses immenses colonnes, ses marbres et ses plafonds peints de feuilles d’or. J’ai aussi admiré une succursale de la Banque Royale sur la même rue, une architecture rivalisant avec celle de la BMO, les deux datant probablement des débuts du XXè siècle et rappelant la richesse anglo-saxonne. La BMO présente sa succursale 001 comme son siège social. C’est faux, le vrai siège social de la BMO est à Toronto, un mensonge pas très admirable.

J’ai fouillé dans ma mémoire : ai-je déjà admiré un employé de la BMO pour son efficacité dans mes dossiers? Respecté oui, admiré, non.

Est-ce que j’admire les pharmacies Jean Coutu? Non plus. Monsieur Coutu, le pharmacien fondateur, oui, mais les pharmacies? C’est comme si on demandait d’admirer des vitres, de la brique et des pilules.

J’ai déjà admiré les pyramides d’Égypte. Ici, admirer veut dire contempler un édifice hors du commun et, avec lui, ses concepteurs, ses artisans, son époque et ses mystères. Quand je regarde l’érable chez moi, l’été, j’admire la beauté de la nature, le vent dans les feuilles et la vie. C’est autre chose.

Le magazine spécialisé Info-Presse a demandé à des spécialistes de se prononcer sur le palmarès. Voici trois extraits du site infopresse.com:
·       Les grandes gagnantes sont les entreprises qui sont le plus présentes dans nos vies ou dans notre inconscient, Bernard Motulsky, Titulaire de la Chaire de relations publiques et communication marketing, UQAM.
·       Desjardins continue de perdre des plumes. Les gens ont peut-être de plus en plus l'impression que la coopérative est en train de devenir une vraie banque, Simon Langlois, professeur au Département de sociologie, Université Laval.
·       …la présence de Heinz au troisième rang m'étonne, mais il faut dire que dans l'industrie alimentaire, c'est une entreprise sans histoire, Jordan L. LeBel, Professeur de marketing, spécialisé en alimentation, École de gestion John-Molson.

Je m’étonne que personne n’ait souligné la bizarrerie d’admirer une entreprise. Mon admiration ne va pas à l’entreprise Hydro-Québec, mais au génie de ceux et celles qui en ont fait une réussite. Idem pour Bombardier, Cirque du Soleil, Ex Machina, Moment Factory & Cie. Une entreprise n’a pas d’âme, c’est une personne morale. J’apprécie les services d’une entreprise, ses produits, mais l’admiration est réservée aux gens, pas au béton ni à la brique. De la même façon, ce sont ses gens et sa mentalité qui me font horreur chez Desjardins. Mon aversion ne tient pas le fait que le Mouvement soit en train de se transformer en banque, mais à sa mentalité de bas de laine.

En passant, les cinq entreprises les plus « admirées » sont : Google, le Cirque du Soleil, Heinz, le Groupe Jean Coutu et Kellogg. Admirer du ketchup?

mercredi 8 février 2012

?@!**@ recherche!


Pré-tester un concept, c'est la plaie des créatifs. Nous n'y croyons pas et nous nous sentons obligés d'en endosser les résultats. Nous sommes souvent ulcérés à l'idée de faire évaluer nos concepts avec des consommateurs payés pour enfin se défouler sur la méchante pub. À mon avis, le problème de la recherche repose sur la méthode de base et, plutôt que d'en faire de l'urticaire, tentons d'y ajouter un peu de sucre pour chasser l'amertume.
Du point de vue du créatif, la recherche sert trop souvent d'argument politique visant à confirmer la peur. La peur de croire. La recherche conforte les clients, embarrasse parfois les agences et fait vivre les chercheurs.
Mais elle est là pour rester et même, pour prendre du poids en temps de récession. Et lorsque nous hurlons devant les résultats, nous n'avons pas d'autre choix que d'avaler de travers puisque tant l'agence que le client cautionnent les données soi-disant scientifiques et mesurables.
La recherche que nous pratiquons repose sur le dogme de l'objectivité. Il faut présenter une idée au public, minimiser le plus possible les interventions personnelles et contrôler un max les biais pour ne pas induire le consommateur en erreur.
On se contente, à partir des scénarios-maquette et des textes, d'expliquer de la façon la plus drabe possible (lire "objective") l'histoire du commercial, en prenant soin de rester le plus neutre possible. Et c'est là le bobo.
La publicité, faut-il le rappeler, est très physique. Elle repose sur une intention éminemment limpide: séduire dans le but de vendre. Pour séduire, on tente de débalancer le consommateur, de le surprendre, de le bousculer pour l'amener à considérer notre produit et à l'acheter. S'il est une chose que la pub ne cache pas, c'est son intention mercantile.
On comprend aisément que, faute de budget, nous ne puissions produire nos annonces avant de les tester. Mais tester un concept de carton en recherche, c'est comme donner des béquilles à un scénario-maquette et croire qu'il va marcher. Un spot fini, au contraire, contient tout des intentions des publicitaires: l'histoire, la photographie, la proposition, la musique et la sonorisation, le jeu des comédiens, etc. Tout concourt dans une seule et même direction: foncer dans le tas en se démarquant de la masse et des autres marques. "Napoléon change la face du monde", sur fond de faces rigolotes et sur son de la claire fontaine, "prenez Anacin avant d'aller au lit et ne faites plus la moue, mais l'amour", à coup de ricanements superposés et de "je t'aime, moi non plus".
Alors, si les gens de recherche sont assis sur leurs gros canons, que devons-nous faire? Changer d'artillerie. Adopter des méthodes plus qualitatives, rechercher des profils psychologiques. Si l'on parle aux passionnés de voiture, à quoi ces gens-là réagissent-ils? Comment expriment-ils leur passion? Si nous avons la prétention de faire de la publicité originale, poussons le raisonnement jusqu'à la recherche, et cherchons des méthodes originales. À force de neutralité pour ne pas faire mal, nous risquons de ne pas nous faire de bien.
Autre suggestion: lorsque nous présentons nos concepts aux clients, nous y mettons la gomme et les explications nécessaires pour expliquer le mieux possible notre approche. Faisons la même chose en recherche et présentons nous-mêmes nos concepts, puis retirons-nous et laissons l'animateur faire son travail. Soyons cohérents tout le long du processus. Il n'y a rien de plus subjectif que la pub, ayons au moins le courage de l'assumer jusqu'au bout. Et cessons de nous appuyer uniquement sur des données d'âge, de sexe, de revenu et autre couleur de faux col.
(Info-Presse, juillet 1993)

mercredi 1 février 2012

L'invasion barbare


Je rentre de Cuba, où j’ai pu voir à l’oeuvre Los Tabarnacos, un groupe que je ne connaissais pas et qui n’a rien de musical. Los Tabarnacos est un animal québécois, francophone, âgé entre 18 et 30 ans environ. Généralement mâle, il se tient en meute et sa personnalité se réduit principalement aux volumes des biceps et des six packs abdominaux. Je crois que la formule du scénariste René Goscinny, épais physiquement et intellectuellement, situerait mieux les enjeux.
Los Tabarnacos se tient au chaud, au bar des hôtels, de préférence là où le forfait inclut l’alcool à volonté. Il s’y accote vers 9 heures le matin et là, y boit, y boit, y boit, igloo, igloo, igloo. Au fur et à mesure que le liquide entre, les mots qui sortent s’épaississent, comme les lèvres, le regard et l’ensemble de l’oeuvre. Les conversations varient entre le tout et le rien, chacune appuyant la philosophie Los Tabarnacos, On est là pour une semaine, c’est bar open, tabarnak, on va aouère du fun!
Le registre du Los Tabarnacos est vaste. Au restaurant, il engueule le serveur parce que le beurre n’a pas été servi à table en même temps que le pain puis, il crie à la ronde sa haine des bourgeois. Dans la grande salle à manger le midi, il pousse le talent à donner sa version du cri primal. Je dois être vieux jeu, quelque chose m’échappe dans cette forme d’humour. Seule limite à son talent, il n’a pas assez de doigts pour transporter plus de huit bières à la fois.
La musique cubaine est très agréable, les harmonies vocales, sensibles et émouvantes, même si on ne parle pas l’espagnol. Exemple: Hasta siempre Comadante, très jolie chanson dont vous pouvez apprécier toute la mélancolie sur youtube.com, mais que je vous souhaite d’entendre live. Durant la prestation de l’ensemble cubain en soirée, Los Tabarnacos réussit à se mêler dans ses pas et dans ceux des autres, à confondre le nord et le sud et à se faire transporter, saoul mort, par deux copains. Il est 20h.
Du point de vue généalogique, Los Tabarnacos descend de l’arbre, généralement vers 4 heures du matin, en route vers la grande finale. Le chemin pour se rendre du bar à la chambre est multiple, ce n’est pas la longueur qui compte, mais la largeur. Il passe par la piscine, en fait le tour autant de fois qu’il faut avant de se rendre compte qu’il tourne en rond, ça peut être long. Chemin faisant, il beugle contre les gens qui l’ont empêché de dormir la nuit dernière. Il n’y a rien à comprendre à son discours, il faudrait lui demander à quoi ça rime, mais la réponse risque d’être longue à venir. Pendant ce temps, autour de la piscine, un ensemble de 400 chambres héberge des touristes Italiens, Russes, Portugais, Allemands, Espagnols, Britanniques, qui essaient de dormir, public bien involontaire de ce spectacle de sons sans lumière.
Dans les corridors menant aux chambres, c’est l’heure du concours de celui qui ferme la porte le plus fort. Une porte en bois recouverte d’une feuille d’acier, ça peut faire assez de dommage au sommeil des autres, surtout quand on y met tout son coeur pour la fermer. Comme par hasard, Los Tabarnacos semble attendre de passer près de votre chambre pour hurler à son copain pourquoi il ne lui cassera pas la gueule. Cela n’intéresse évidemment pas le copain, ni le touriste qui ne dort plus, mais l’objectif est ailleurs, Los Tabarnacos a quelque chose à dire. Et il va le dire une fois, deux fois, cinq fois s’il le faut, ce n’est pas grave, s’il manque de salive, le bar est ouvert 24/7. Los Tabarnacos a le sens de l’éternité. J’ai mal à ma fleur de lys.
Un jeune homme a confié à mon fils qu’il devrait caler 150 bières pour rentabiliser son voyage à Cuba. Sur une durée de sept jours, cela fait 21 bières, ou 7,1 litres par jour. Aligner un voyage en fonction de la consommation d’alcool, il faut avoir de l’ambition.
Mercredi matin, j’ai déposé une plainte à la direction de l’hôtel en expliquant que, si ces joyeux lurons font partie de ma nation, nous ne sommes pas de la même famille. Les Cubains nous accueillent très bien. Le Canada et surtout le Québec, entretient des liens privilégiés avec Cuba, nous représentons le plus important groupe de touristes là-bas. En 2000, le président Fidel Castro a tenu à assister aux funérailles de l’ex-Premier ministre canadien Pierre-Eliott Trudeau.
Plutôt que d’aller marcher à quatre pattes à Cuba, Los Tabarnacos pourrait aussi bien visiter n’importe quel zoo près de chez lui. C’est moins loin, meilleur pour la santé, et il pourrait être surpris, ces animaux-là ont de la classe.
10 janvier 2010