C’est une histoire dont l’enjeu est le temps.
En France, le nouveau phénomène journalistique s’appelle mooks, contraction des mots ‘magazine’
et ‘books’. Un mooks se situe quelque part entre la lecture à consommation
rapide et celle à déguster lentement. Le fondateur de la lignée des mooks
s’appelle XXI, un généreux pavé
trimestriel de 200 pages, écrit par des journalistes, photo-reporters, auteurs
et bédéistes. Une maquette à l’italienne, notre format télé 16/9, des articles
inédits, un graphisme dynamique et aucune pub. Au sujet de lui-même, XXI écrit qu’il ose l’inverse de pratiquement tout ce qui se fait dans la presse
aujourd’hui.
XXI a été co-fondé à l’hiver 2008 par
le grand reporter Patrick de Saint-Exupéry, prix Albert Londres. Il n’y a pas
de hasard, Albert Londres est le modèle français du grand reporter. Dans les
années 20 et 30, il partait durant six mois s’imbiber de son sujet, qu’il
racontait ensuite en 30 pages de journal, à raison d’un page par jour. Dans un
livre, un reportage d’Albert Londres s’étale facilement sur 115 pages. Il faut
lire Le juif errant
est arrivé, un reportage sur la vie des communautés juives d’Europe de
l’Est d’avant 1939. Le texte de Londres en vient à sentir
les égoûts et la misère. Or, faire émaner des odeurs d’un texte demande un certain
temps à l’écriture.
Cent-quinze pages de livre, c’est la longueur d’un documentaire à la
télé. À l’instar du grand reportage, le documentaire raconte une histoire que
l’auteur a mis du temps à comprendre, à mettre en contexte et à raconter, ce
que les médias ne font plus. À la fin du documentaire, nous comprenons d’où
viennent les rides.
De nos jours, le reportage télé, l’article de journal et les médias
sociaux ne peuvent plus se payer le luxe de faire cela. Et surprise, XXI a déclaré des bénéfices dès le
premier numéro.
Aussi curieux que cela puisse paraître, il n’est pas donné à tous
d’apprécier la notion de temps en 2012. Les jeunes d’aujourd’hui naissent le
visage dans un écran. Depuis tout jeunes, ils sont systématiquement interpellés
par le numérique. Ils ne savent pas ce que veulent dire trois mois de vacances,
sans média, à ne pas savoir que faire du temps. Ils doivent réapprendre le
temps, la denrée rare du XXIè siècle.
Un jour, dans un cours universitaire, un prof a demandé à la classe
de ma fille d’éviter tout contact avec un média durant une semaine. Pas de cell
ni d’internet, de SMS, d’ordi, de télé ou de radio. Une semaine. Elle l’a fait,
pour réaliser la place omniprésente qu’occupent les médias dans sa vie et la
place relative qu’ils pourraient occuper. En réalité, son prof lui a offert une
semaine de temps, cadeau rare de nos jours.
Les raisons du succès
des mooks sont multiples. Un marketing à contre-courant de l’information
instantanée ambiante, de longs textes opposés aux 140 caractères Twitter, le papier contre le numérique, l’indépendance
éditoriale sans pub VS la dépendance avec la pub. XXI et les mooks, c’est aussi et
surtout, une victoire du documentaire et le retour du grand reportage. C’est le
temps qui reprend sa place devant l’instant.
En France, le père des mooks n’est plus seul : Usbek et Rica, Schnock, Charles, Ravages, Feuilleton,
le Tigre, l’Impossible, le Majeur, Clés, Badabing, We demain, Zmâla, Di6dent,
le Believer, Muze, Crimes et châtiments, 6 mois, France Culture papiers ou
Alibi, jouent
du coude sur les tablettes. Trouverons-nous le temps de lire tout ça?
Aussi,
les mooks selon le quotidien Marianne : http://www.marianne2.fr/Les-mooks-jouent-les-meneuses-de-revue_a217037.html
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