samedi 19 mai 2012

Lettre à Jean Charest

Montréal, le 19 mai 2012.



Monsieur Jean Charest
Premier ministre du Québec


Bonjour, M. Charest,

Pour la seconde fois au moins dans votre troisième mandat, vous êtes allé trop loin. Remarquez, je l'avais dit à ma fille, il y a de cela 14 semaines. C'était en février, le CEGEP St-Laurent entrait en grève. Ma Camille avait décidé de voter en faveur. La connaissant, je savais très bien qu'elle s'engageait pour de bon, elle n'allait pas changer d'idée en cours de route. Je le réalise en l’écrivant, sa détermination était à l’image de celle des carrés rouges pour la suite des choses. Dans son esprit, vous étiez le premier interlocuteur du Québec.

Je ne veux pas me prononcer à sa place, elle a peut-être pensé que vous étiez son Premier ministre.

Ma première réaction a été de lui dire Tu crois vraiment que Jean Charest va changer d'idée? Et de lui expliquer comment le Québec entier avait tenté de vous convaincre, sans succès, de tenir une enquête publique sur l'industrie de la construction. Chaque jour, ou presque, pendant près de trois ans, les médias transmettaient la même demande d'enquête. Chaque jour, ou presque, pendant près de trois ans, les médias transmettaient votre même réponse, laissons la police mener ses enquêtes.

Pour avoir subi ce long supplice médiatique, je pouvais affirmer sans risque de me tromper que vous adopteriez la même attitude face à la grève. Je ne pouvais prédire la loi spéciale votée hier, mais votre attitude, oui.

Ces 14 semaines ont généré un grand nombre de conversations avec Camille. Je lui ai expliqué bien des choses à propos de la légalité, de la violence et de la paix sociale.

De son côté, elle m'a fait comprendre que sa voix et ses choix comptent, pour devenir une jeune femme. J'ai compris que, même si je paie ses frais de scolarité, je dois lui laisser porter la parole. Ce n'est pas tant ma société qui est en train de changer, mais la sienne. Enfin, par dessus tout, j'ai compris que ma génération, qui est aussi la vôtre, a le devoir de ne pas humilier la sienne. Vous avez des enfants, vous savez ce dont je parle.

En fin politicien que vous êtes, vous devez certainement avoir reconnu, en ces trois jeunes leaders étudiants, vos pairs. Pour la première fois, vous faites face à des gens qui adoptent la même attitude, la même intransigeance que vous. Même les chefs syndicaux ont été dépassés. Lors de la rencontre durant les événements de Victoriaville, Michel Arsenault, président de la FTQ, a dû rappeler aux leaders étudiants que dans une négociation, il faut concéder. Michel Arsenault respecte la loi. Les jeunes leaders étudiants respectent les idées. Comme vous, les jeunes ne concèdent rien. Mais vous disposez d’un avantage sur eux, le pouvoir. C’est pour cette raison que vous avez l’obligation de parler directement à ces jeunes. Or, en ce moment, tout se passe comme si, pour s’adresser à ses enfants, le père passait par la mère. Vous avez adopté la force dans le silence.

Aujourd'hui, des reproches vous assaillent, aussi bien du Barreau du Québec, que de citoyens et de syndicats. Curieusement, les mêmes noms que lors de la demande d’enquête sur l’industrie de la construction, reviennent.

Depuis 14 semaines, Camille et moi avons beaucoup avancé dans notre conversation et nous partageons la même zone grise. Nous ne comprenons pas votre attitude. Nous ne comprenons pas cette absence de dialogue de votre part. Nous ne comprenons pas pourquoi vous n’agissez pas en père de famille.

En ce lendemain de loi spéciale, les jeunes sont redescendus dans la rue. Depuis quelques jours, des policiers se disent fatigués. Ils ne sont ni formés ni payés pour taper sur des jeunes. Depuis des semaines, les parents, les jeunes, les professeurs, les citoyens sont excédés. Depuis hier, la désobéissance civile est à nos portes. À ce moment, le train est apte à dérailler. Ce n’est pas grâce au dialogue. Combien de temps pensez-vous tenir ainsi ?

La dimension humaine manque cruellement à votre approche. Jusqu’ici, vous vous en êtes montré totalement dépourvu. En l’absence de sensibilité, vous passerez à l’histoire comme le premier ministre d’un rendez-vous manqué. Il est question ici non pas seulement de flair politique, mais d’un minimum d’échanges et de curiosité. 


Luc Panneton
Ville St-Laurent

vendredi 18 mai 2012

Les vrais amis sont dans la rue

En ce 18 mai 2012, une question mathémathique pour cégépiens : comment fait-on pour perdre six mois dans une année qui n’en a fait que cinq?

Réponse : il suffit d’avoir à la maison deux cégépiens en grève durant 13 semaines, 26 semaines = six mois. Six mois de grève en cinq, quatre en réalité, tout a débuté en février. Multiplié par 200 000 étudiants en grève, j’arrête ici la recherche du temps perdu.

Si on ajoute que mon fils ne retournera pas terminer sa session, le travail d’été l’ayant remporté sur l’écoeurement, cela fait neuf mois. Ajoutons le stage humanitaire, crédité et annulé, de ma fille, 10 mois. Et je ne parle pas du mois supplémentaire qu’elle comptait faire en Équateur, ni des offres d’emplois refusées pour partir dans le sud, ni de son entrée incertaine à l’université en septembre.

En ce 18 mai, nous en sommes donc au 600 000ème mois de grève cette année. Le 16 mai, dans le journal La Presse, la journaliste Marie-Claude Lortie écrivait la grève, plus capable. Bien d’accord, faisons donc contre mauvaise fortune bon coeur.

Pour consoler un père, mieux vaut compter les dommages collatéraux de la grève en termes qualitatifs que quantitatifs. Parce que si cela était, je dirais ce que je dis depuis le début : toute cette grève pour 325 $ d’augmentation de frais de scolarité par année durant cinq ans? Vous êtes dans le champ, ma Camille. Tout cela pour l’équivalent d’une semaine de travail au salaire minimum? Cela n’en vaut pas la peine. Si nous parlions de 10 000 $ d’augmentation, j’imprimerais vos pancartes de protestations et je vous les livrerais dans la rue.
Mais 325 $? Une farce.

Au bac à l’UQAM, j’ai été de tous les conseils étudiants et de toutes les grèves. C’était au pavillon Read, angle St-Alexandre et La Gauchetière, avant le pavillon Judith-Jasmin. Pour franchir la porte d’entrée, il fallait contourner le marxiste-léniniste de service qui vendait son journal. Nous nous foutions bien de sa gueule, il devait boire de la grosse Black Label. Et quand il y avait grève, nous faisons des chaînes téléphoniques pour demander à nos collègues d’aller voter et de tasser ces marxistes qui tentaient de noyauter les assemblées. À cette époque, Charlebois chantait entre deux joints, tu pourrais te grouiller le Q. Nous n’avions rien à cirer de Marx ni de Lénine, mais être contre, c’était le fun, trois années de purs plaisirs.

C’est ce que je dis à Camille, impliquée dans son carré rouge. Je ne crois pas à votre cause, mais vas-y, amuse-toi. Lève-toi à 3h pour aller empêcher l’administration d’entrer à 5h, vas-y. Va piqueter à fond, c’est ça, vivre. Mais 325 $? Fais seulement en sorte que ton oeil ne se trouve pas devant une balle en caoutchouc. Pour le reste, vas-y, tu le ne regretteras pas. L’insouciance et la naïveté font partie de la jeunesse. L’idée, c’est que, avec l’âge, elles ne vieillissent pas trop vite.

Le truc pour les parents, c'est de ne pas pogner les nerfs. Pas toujours évident. Je paie les frais scolaires, cette grève est la mienne par la bande. Mais dans les faits, Camille est le moteur de sa grève. Ma job, c'est de l'encourager. D’où une longue conversation depuis février. Toutes sortes d’échanges à propos de la légitimité, de la police, de la politique et de la communication. Des lettres d’étudiants que Camille me fait suivre, en demandant chaque fois mes commentaires. Durant cette grève, Camille est en train de devenir une jeune femme.

Il y a eu des erreurs de part et d'autres. Il y a aussi eu d’excellents coups de la part des étudiants, ils ont montré une grande intelligence dans leur parole et dans leurs gestes. La marche des 200 000 était tout simplement magnifique. Comme quoi l’intelligence peut impressionner autant que la violence. Autre acquis, il me semble qu'il y a moins de temps passé devant Facebook. Les vrais amis sont dans la rue.