dimanche 24 juin 2012

Bonjour, monsieur Campana


Dans les années 70, j’ai rencontré au Collège Français le plus fabuleux de mes professeurs. Il enseignait la psychologie au niveau cegep, il était d’origine corse et il s’appelait Paul Campana. Le collège était et est toujours situé rue Fairmount, à Montréal. Plus tard, lorsque j’y ai inscrit mon fils en secondaire IV, je lui ai dit qu’on n’allait pas au Collège Français pour la beauté des locaux, mais pour la qualité de l’enseignement.

Il y avait là de fabuleux professeurs, tous passionnés. Monsieur Goudard en linguistique, messieurs Laralde et Dahan en mathématiques, messieurs Longuemare et Bertrand en philosophie, monsieur Abrassart en français. Et au niveau supérieur, il y avait dans mon panthéon, monsieur Campana.

Lorsque monsieur Campana enseignait la psychologie, il parlait de philosophie, de musique, de karaté, d’astronomie, de physique, d’anthropologie, de sociologie, d’histoire, de mathématiques, il n’y avait pas de fin. Ses cours étaient des récits ininterrompus de matières et de connaissances. Ils me semblaient universels, j’étais vissé à ma table, directement branché sur un fabuleux voyage. La meilleure façon de faire grandir nos passions, c’est de rencontrer celles des autres.

Pour des raisons de salles de billard et de bars, les 5116 et Idéfix, mon cegep a traîné durant six ans. C’est long, mais cela m’a permis de suivre huit cours avec mon mentor. Une fois à l’université, j’allais le consulter, lorsqu’il était question de psychologie. Mon prof de psycho à l’UQAM enseignait comme un raisin sec.

Quelques années plus tard, j’ai appris que monsieur Campana retournait en Corse. Il partait demain. Je l’ai appelé pour lui dire bonjour et merci. Il ne se rappelait plus de moi. Mais c’était trop tard, le bien était fait dans ma vie.

Aujourd’hui, j’enseigne à la Faculté de l’Éducation Permanente de l’Université de Montréal, un cours de Rédaction et Communications publiques. L’écriture publique, dans les secteurs de la publicité et des relations publiques.  Mon cours est basé sur une dynamique de réflexion, d’anthropologie, de stratégies, de communication, de musique et ainsi de suite.
Bonjour, monsieur Campana.

Carré rouge et carré de sable


Dès le début de la grève étudiante, février 2012, j’ai dit à ma fille Camille que les montants en jeu ne me paraissaient pas valoir une grève. Je n’ai pas changé d’idée. Une hausse de 325$ par année durant cinq ans, l’équivalent d’une semaine de travail au salaire minimum, cela me semble bien peu. Une hausse de 75% après cinq ans a l’air faramineuse, mais 75% de pas grand chose égale pas grand chose. Camille a voté en faveur de la grève et elle n’a pas changé d’avis, 17 semaines plus tard.

Je dois faire partie d’une vieille génération. Quand il était question chez moi de problèmes liés à l’argent, papa disait on travaillera une couple d’heures de plus. Je ne suis toujours pas convaincu. Je ne parle pas des grands principes, de la gratuité scolaire, du néolibéralisme et tout ça, c’est autre chose, quoique.

La gratuité scolaire est un jeu de mots. Ce qui ne sortira plus de la poche des étudiants viendra des taxes et des impôts de leurs parents. Quatre trente sous pour une piastre. À ce prix, je veux bien.

Ceci dit, j’ai dit à Camille profites-en, vas-y, milite, tu vas apprendre plein de choses que l’école ne t’apprendra jamais. L’école enseigne-t-elle davantage quand elle est fermée?

Mon ami Bory Seyni est journaliste à Niamey, au Niger. Un jour, il m’a emmené voir le Sahara. C’était un énorme mur de vent chaud soufflant vers le sud. Tellement chaud, les arbres deviennent de la pierre. Le vent transforme les arbres en sable, à raison d’un kilomètre par année.

J’ai connu Bory à l’UQAM en 1981, durant nos études de Maîtrise en Communications. À l’époque, Bory était rédacteur en chef du Sahel, le seul journal de son pays. Il a plus tard fondé l’hebdomadaire Le Démocrate.

Pour faire une histoire courte, Bory a déjà été battu par un ministre du gouvernement nigérien pour avoir trop bien informé ses lecteurs. L’histoire a fait le tour d’internet. Il a aussi émigré durant plusieurs années au Sénégal pour assurer sa sécurité. Il est maintenant de retour chez lui. À propos de la grève chez nous, Bory écrit: Vu d'ici, cela a l'air d'un jeu de "petits bourgeois" bien rassasiés. Au Sahel, c'est la famine et la guerre. Je redoute simplement que l'Amérique y vienne avec ses gros sabots par le canal des Nations unies. Comme en Afghanistan. Mais le pire n'est jamais sûr, n'est-ce pas ?

Cela a l’air loin de nous tout ça, le Niger, la guerre, et pourtant. Il y a 10 mois à peine, j’ai fait un séjour de six semaines au Mali, le pays voisin, pour écrire un plan de communication, dans le cadre d’un grand projet démocratique du gouvernement du Mali. Aujourd’hui, 10 mois plus tard, c’est le chaos là-bas. Plus de projet de démocratie, on parle de la sharia, d’Al Qaida au Maghreb islamique, des rebelles Touareg, exit la démocratie. L’idée même d’y aller n’est plus une bonne idée. La guerre est un peu dans ma tête parce qu’elle est dans la cour de mon ami.

Dix-sept semaines de grève à 200 000 étudiants, cela fait 3 400 000 semaines de perdues. Je veux bien, le printemps érable, les chaudrons et tout ça. Je ne peux m’empêcher de penser quel maudit gaspillage.