lundi 16 décembre 2013

Le mur


J'imagine le tout premier hiver que mes ancêtres ont dû subir, en 1535, quelque part sur le bord du St-Laurent. Ils ne parlaient ni la langue de la forêt, ni celle du froid, ni celles des Amérindiens. J'imagine la surprise de la neige, de la glace emprisonnant les bateaux, du froid traversant le bois de la coque, les manteaux, les mitaines, les bottes mouillées et les os. J'imagine la peur de la mort, du temps qui n’en finit plus de ne pas finir, de la colère de l’impuissance. Le disque dur qui tourne à plein régime pour trouver des solutions. Le mur de l’immigrant.

J'imagine une nouvelle expression française, Oh phoque!, probablement un cri du coeur à la vue d'une otarie paresseuse se prélassant au soleil sur la banquise, à l'abri du scorbut qui rongeait les hommes jusqu’aux sangs. Je suppose que, à ce moment, les livres de philo et les dictionnaires de mes ancêtres ont servi à allumer le feu, laissant le champ libre à l'édification de nouvelles connaissances. Je suppose que, à ce moment, ils ont décidé de faire table rase du passé, qu'ils avaient affaire à se bâtir une table toute neuve, et plus vite que ça. Ils devraient entièrement repenser les façons de penser et de faire. Le contexte idéal pour inventer une nouvelle façon de sacrer. Il leur fallait créer un nouveau monde de toutes pièces. En pin ou en chêne ? Ce jour-là, j'allais devenir un descendant de coureurs des bois. Fini les gaulois, bonjour les québécois.

Mes ancêtres n'avaient de bagages que leur accent français et leur peu d’instruction. Ils commenceraient à s’instruire 425 ans plus tard, ainsi en auront décidé les curés. Mais l’instruction n’est que le formatage du talent et de l’intelligence en idéologie. En attendant, le Québec allait se gosser à la hache, au bucksaw et à hauteur d'homme. La femme allait transmettre aux générations une langue nouvelle et des valeurs adaptées au terroir. La créativité allait coûter cher à tout le monde. Avec le temps, les ancêtres ont sacrifié la nature pour l’habitat, ils ont coupé les autochtones de leurs racines et ont sorti le froid des maisons.

Si le québécois possède une seule qualité, c'est sa capacité de créer sur un terrain vierge, un habitat sorti de la nature et de l'hiver. Ce n'est pas un hasard si nos hommes sont devenus si performants dans la construction. Qu'est-ce que construire une maison si ce n'est de créer un habitat à partir de la nature et de l'hiver?

Placez un québécois devant un territoire inconnu, il sort sa hache. C'est son ADN.

Assoyez-le devant un ordinateur et des manettes, il inventera des jeux vidéo d’une telle qualité que les grands de ce monde s'installeront ici pour profiter de la manne créative. La créativité est-elle héréditaire? Oui, dans la mesure où elle est culturelle.

Ce n'est pas une question d'instruction. Mes ancêtres ont créé sans même aller à l'école. Cela ne les a pas empêchés d’inventer bécosse, crosseur et poudrerie, des mots qui ne couchent pas toujours ensemble. Les bras francophones étaient requis aux champs et les cerveaux instruits parlaient latin et anglais. Pendant ce temps, l'intelligence pratique rayonnait autour des patenteux et inventeurs de bras. L’hiver est le père du ski doo, une filiation directe des premiers colons. Ceux-ci ont créé l'habitat, Joseph-Armand Bombardier leur a inventé un moyen de communiquer.


Si l’eau a inventé les castors, les descendants de nos ancêtres ont créé les grands barrages. Les québécois en ont fait un seul réseau, une électricité de la même eau. Et René Lévesque leur a imaginé un lieu de rassemblement, la langue française.

Nous sommes tous des immigrants. Notre langue est française et notre pensée, anglo-saxonne. C’est ce que j’enseigne dans mes cours de français langue seconde. Vous venez de l’espagnol, du moldave ou du mandarin. La différence entre vous et moi, c’est 300 ans. Et 26 000 ans avant vous et moi, il y avait des autochtones. Mais l’autochtone n’est plus là. Nous avons été tellement créatifs que nous les avons tassés en chemin.

Et le nouvel immigrant de raconter ses histoires, toutes semblables, pourvu qu’il ne parle ni le français, ni l’hiver, ni l’anglais. C’est l’histoire d’un mur. En arrivant, chaque son, chaque mot, français ou anglais, est du chinois. Chaque homme, femme et enfant est un parfait étranger avec qui la communication reste à faire. Il y a de la neige dans la télé et du bruit partout. Pour se réchauffer, il arrive que, des heures durant, il lise à voix haute du Michel Tremblay, pour essayer de pénétrer notre pays. Chez nous, le français est une couverture de laine. Dans certains cas, deux semaines après son arrivée, l’immigrant a trouvé du travail, ni français ni anglais, celui dont nous ne voulons plus. Dans la plupart des cas, il a peur sans se plaindre. Le silence est le prix de l’immigration.

L’immigrant d’aujourd’hui connaît le froid de la solitude. Sa mort, c’est la peur du rejet et de l’expulsion. Cela ne nous intéresse pas. Nous n’avons peur de rien, nos ancêtres l’ont eu à notre place.




vendredi 6 décembre 2013

Le pot de moutarde


C’est l’histoire d’un tigars, la face dans la dépense et qui cherche un pot de moutarde. De la hauteur de ses 10 ans, il ne voit pas plus haut que la deuxième tablette. Ni plus loin, il a la face collée dessus.

Dimanche, le tigars a été invité à l'émission Tout le monde en parle. Tigars fait du trash, il blogue, vlogue et fantasme publiquement sur le viol d'une comédienne. Il traite publiquement des gars de fifs et trouve ça drôle. Voyons Dany, t’as pas compris le gag ? Et il rit. Il me faisait penser au portrait du mâle québécois que la publicité aime dépeindre depuis des années.

Dans un message du Mouvement Desjardins, tigars est dans l’escalier menant à l’étage. Du salon où elle est assise, sa blonde ne le voit pas. Elle parle à voix haute de que faire avec de l'argent qu’ils ont économisé. Pendant qu'elle dit à voix haute de ce qu'elle aimerait, il hésite dans l’escalier : remonter cacher en haut le cadeau qu’il a en mains ou descendre le lui offrir ? Les phrases de la blonde conduisent la marche du suiveux.

Dans une pub d'assurance, je crois, un tigars se promène dans la maison, un casque de moto sur la tête. Il s'apprête à parler au téléphone à son agent d'assurances. Et comment feras-tu pour lui parler, un casque sur la tête? lui dit sa blonde. Elle ne l’a pas dit, mais je l’ai entendue le traiter de tata.

Ce que la pub ne dit pas, c'est que la fille qui accepte de partager sa vie avec une telle guénille ne vaut guère mieux qu'un torchon.

Bref, un tigars comme ça à Tout le monde en parle. Comme l’écrivait le scénariste René Goscinny, dans Lucky Luke, épais physiquement et intellectuellement. L’âge mental de 10 ans.

La face dans la dépense, tigars ne voit pas le pot de moutarde sur la tablette devant lui. Il stresse, son objectif dépasse ses compétences. Sa tête n’est pas là. Il a juste hâte de sortir, d’aller jouer dehors. Sans tête, il ne voit donc rien d’intelligent. De l’autre bout de la cuisine, la voix de sa mère en écho lance que le pot va lui sauter au visage. Au moment où sa mère le lui dit, et à ce moment-là seulement, tigars voit le pot de moutarde.

C'est ça, un gars de 10 ans. Il ne sait pas ce que mal faire veut dire. Il faut que sa mère le lui dise. Ensuite, il joue le gars contrit, mais ne comprend toujours pas. Par contre, son intelligence des choses lui a fait sentir qu'il aura la paix s’il regarde le plancher en voûtant un peu les épaules, et en disant m’escuze, l’avais pas vu. Il ne voit littéralement pas plus loin que le bout de son nez, à preuve, le pot de moutarde.

Dans la même veine, ses phrases sont aussi courtes que sa vue. Sa mère termine la phrase à sa place, il te saute au visage le pot de moutarde. La mère ne l'a pas traité d'imbécile, elle est seulement impatiente. Mais tigars a entendu le mot imbécile, il regarde le plancher et voûte les épaules. À force d’avoir la vue courte et des phrases courtes, les épaules racourcissent elles aussi.

À 40 ans, il arrive que la vue de tigars ne se soit jamais allongée. Il écrit donc le viol d'une jeune fille douce et le publie. La lettre demeurera en ligne six heures durant. Il aura fallu six heures avant que quelqu'un ne lui dise que le pot de moutarde allait lui sauter au visage. Tout seul, il ne s'en serait pas rendu compte. Les lunettes sur son nez ne permettent pas de voir plus loin, elles indiquent simplement l'endroit précis où la vue s'arrête. Le mot vision n’existe pas ici. À preuve, le gars se pointe à TLMP, devant 1,7 millions de spectateurs, pour dire m'escuze.

Publier dans l'espace public est une grande responsabilité pour une tête de tigars. Tigars n'a aucun discernement, aucune formation ni discipline et, surtout, aucune couille pour appuyer ses gestes.

Bernard Derome a été chef d'antenne à Radio-Canada pendant près de 30 ans. Il disait que le temps d'antenne est trop précieux pour qu'on se permette de le gaspiller. C'est ce que le docteur Réjean Thomas a dit à tigars à TLMP, en des termes plus simples. Il a dit si tu mettais de l'intelligence dans ton espace, ce serait déjà mieux. Tigars n'a pas répondu. Il cherche encore le pot de moutarde.



vendredi 22 novembre 2013

JFK et j'ai huit ans


À l’âge de huit ans, les enfants ne pensent pas en forêt. Je veux dire, ils ne pensent pas concept. Leur tête est plutôt meublée d’un arbre d’un côté, du gazon de l’autre, le ciel de l’autre et dans lui, le soleil. Ils pensent en allumettes, en liste d’épicerie peut-être, mais pas en concept. Le ketchup, la relish, la moutarde, le hot dog, ça existe. La gastronomie, non. À huit ans, je savais qu’un monsieur en quelque part pouvait presser sur un bouton rouge et envoyer des fusées détruire ma rue, mais le concept de guerre froide n’existait pas. Je savais qu’il y avait les méchants Russes et les bons Américains. Ça, je comprenais, mon ventre travaillait fort durant les batailles entre le méchant Brutus et le bon Popeye. Et le jour où ma mère a dit qu’elle avait vu un homme saoul, j’ai imaginé une énorme pièce d’un sou rouler dans ma rue. J’avais huit ans.

Le traumatisme de l’assassinat du président Kennedy a été créé de toutes pièces autour de moi. Je ne pouvais pas traumatiser, je ne le connaissais pas. Je ne savais même pas que Dallas existait. Par contre, je connaissais sa limousine, une Ford Lincoln Continental 1963. À l’époque, je pouvais nommer quantité de modèles d’autos et leurs années, mais les mots industrie automobile ne voulaient rien dire.

C’était le bon temps. Dans le nord, je me baignais dans la rivière Rouge en chevauchant les billots qui descendaient la rivière, en direction du moulin à scie. C’était agréable, des chevaux sauvages. J’attrapais des otites à répétition. Je ne pouvais pas savoir pourquoi, le mot pollution n’existait pas. Pour que les choses existent, il faut les nommer, dit le poète Gilles Vigneault. Que tous les égoûts aillent à la rivière, que des cultivateurs y jettent des cadavres de vaches ou leur vieille minoune, je ne pouvais pas savoir qu’ils faisaient bobo à mes oreilles, le mot n’était pas nommé.

Sur ma rue, M. Baxter conduisait une Ford Lincoln Continental 1963, semblable à celle de JFK. Celle de M. Kennedy était plus belle, noire, avec ses portes de style suicide door. En les actionnant ensemble, les portes s’ouvraient comme celles d’une grange ou mieux, comme des gens heureux font leur entrée dans un film, si possible les cheveux dans le vent. Celle de M. Baxter avait aussi des suicide doors, mais elle était bourgogne. Noir, c’est plus beau.

Dans la classe, la voix de M. Romain Chevrier, le directeur de l’école primaire Jean-Grou, à Saint-Laurent, a annoncé la nouvelle dans l’intercom. À ce moment, j’ai appris l’angoisse par mimétisme. D’abord, la réaction de la maîtresse. Plus tard, celle de mes parents. Et, évidemment la télévision. Ce sont eux qui ont créé chez moi l’importance de l’événement. Mais l’enfant de huit ans ne comprend pas. Il fait plutôt comme le chien Rantanplan, dans Lucky Luke, il « sent confusément quelque chose ».

L’année suivante, mes parents ont créé un autre événement, quand les Beatles ont débarqué au Ed Sullivan Show. C’était plus festif, mais la réaction de ma tante Hélène, la soeur célibataire de ma mère et qui est morte célibataire, en disait long sur leurs cheveux longs. Quatre musiciens à la télé, je pouvais comprendre. Mais l’invasion Britannique?

De toute façon, j’avais autre chose en tête le jour où M. Kennedy a été tué. Depuis trois mois, mon bras droit était tatoué par une longue cicatrice, en forme de Z, comme la signature de Zorro, le héros plate du Mexique. Mon Z à moi était composé de 31 points de suture, souvenir d’une vitre tombée sur mon bras, en juillet, et qui avait coupé trois tendons. Ce jour-là, je n’ai pas eu besoin de mes parents pour capoter, j’étais assez grand pour le faire tout seul. Et cet été-là, j’ai dû me baigner mon bras de plâtre hors de l’eau. La guerre froide était de la petite bière à côté de mon plâtre.

Le 22 novembre 1963, j’étais encore fasciné par la vue de cette longue cicatrice et par la nouvelle dextérité un peu limitée que la vitre avait laissée à mes doigts. J’ai donc dû lever la tête pour écouter le message de l’intercom et me laisser envahir par l’information internationale.

Quelque temps après l’événement, j’ai entendu que le secret d’état serait levé dans 50 ans, et que nous saurions ce qui s’était réellement passé. Quand tu as huit ans, 50 ans, ça n’existe pas. C’est pourtant aujourd’hui. On ne sait toujours pas ce qui s’est réellement passé et ce n’est pas demain la veille.

Mon bras droit est toujours cicatrisé. Les trois tendons blessés de main droite jouent des accords de guitare depuis. L’école Jean-Grou est toujours là et monsieur Chevrier ne parle plus dans l’intercom.



vendredi 15 novembre 2013

La gosse


La gosse est ce moment où l'artisan est en train de gosser son objet. Pensons à un bout de bois gossé par le couteau de l’artisan, comme ce canard de Saint-Jean-Port-Joli, gossé dans le bois.


On dit d'une gosse irritante qu'elle est gossante. Gossante, comme dans Ici Radio-Canada Première, la plus gossante formule publicitaire jamais produite à Radio-Canada. Cette gosse est le pendant du supplice de la goutte d'eau, celle qui tombe sur le front et tape sur les nerfs à un rythme tellement régulier qu’elle rend fou. Un mantra du pléonasme.

Ici, Radio-Canada Première et Ici Radio-Canada télé sont deux solutions marketing à un non-problème. De tout temps, le mot Ici est utilisé à Radio-Canada. Des millions de québécois ont grandi au son de Ici Radio-Canada. Durant toutes ces années, tout a baigné. En fait, tout allait probablement trop bien, il fallait créer un problème, dire au public ce qu’il sait déjà.

Dans un premier temps, dire au public qui regarde la télé qu’il regarde la télé. D’où Ici Radio-Canada télé. Je regarde donc la télé de Radio-Canada et je me fais dire que je regarde la télé, Ici Radio-Canada télé. C’est comme si j’écrivais un texte écrit qui serait lu par des lecteurs qui lisent. C’est le pléonasme qui redonde dans le même sens.

Ensuite, dire au public qu’il est ici. Imaginez-vous Radio-Canada disant Là Radio-Canada télé ? Les marketeurs ont donc compris qu’il fallait dire aux gens qu’ils sont ici. Depuis 1936, nous nous faisons dire Ici Radio-Canada. Faut-il écrire en plus dans mon écran de télé que je suis ici, à la télé ? Ici...Radio-Canada...télé ?

À la radio, c’est plus compliqué. On ne dit pas aux auditeurs de la radio qu’ils sont à la radio. On ne dit pas Ici Radio-Canada radio. On leur dit qu’ils sont à Première, Ici Radio-Canada Première. Ouate de phoque, Première? Première quoi ? Première de quoi ? Silence radio. Il n’y a pas longtemps, la formule était si simple : Ici la première chaîne de Radio-Canada. On écoutait la première chaîne, une très belle gosse d’ici.

Vous arrive-t-il d’appeler quelqu’un au téléphone et de lui dire Allo c’est moi ? C’est exactement ça. Qui d’autre que moi peut appeler, moi étant chacun chacune d’entre nous ? Ce n’est rien de grave, Allo c’est moi  est le genre de petit pléonasme sucré du quotidien. La prochaine fois, essayez Allo c’est il, juste pour le fun. C’est comme si, au lieu de Ici Radio-Canada Première, on disait Ailleurs, Radio-Canada Dernière. Ce serait déjà plus original et moins gossant.

 Dialogue de gosse:
-      - Il y a quelques jours, je pense que c’était à Ici Radio-Canada Première, le gars parlait de...
-       - C’était pas plutôt à Ici Radio-Canada Télé ?
-      -  Hmmm, le gars parlait de...
-      -  Ah oui, c’était à TVA.
Ils doivent se bidonner les gars de la ruelle TVA, avec leurs trois lettres simples, de voir les cravatés du collège classique se gosser le bec en cul de poule avec leurs noms à pentures.

En rédaction, les mots que je coupe, ceux dont je n’ai pas besoin, laissent plus de force à ceux qui restent. Une fois bien coupé, un texte prend son rythme, c’est de la musique. Mais pour cela, il faut couper jusqu’au dernier mot. Ici Radio-Canada Première me gosse parce que l’expression est mal gossée, justement. Le travail est bâclé, on a rangé trop rapidement les ciseaux. Il reste un mot à couper. Cela donne Ici Radio-Canada. C’est simple, c’est juste 77 ans d’histoire, il n’y a rien à ajouter. Pour le reste, le public est assez grand pour savoir s’il regarde la télé ou s’il écoute la radio.
Cela s’appelle l’intelligence.





lundi 28 octobre 2013

Ripoux Bell


On fait grande émotion dans les journaux de ce que Bell vende des renseignements personnels de ses clients à des annonceurs. Ceux-ci pour proposeront en retour de la publicité ciblée aux clients de Bell. Et nous devrions être inquiets? Si cela se trouve, ces manières se pratiquent déjà en secret par un grand nombre d’entreprises. Bell n’a dit tout haut que ce que plusieurs feraient tout bas.

Si cela se trouve aussi, Vidéotron, Rogers et Telus emboîteront le pas. Je n’aurai donc pas le choix, mes données personnelles seront vendues à des annonceurs. Tant mieux pour eux, je dors très bien.

Pour Bell, le client est un pourvoyeur d’argent, point final. Il m’a fallu huit mois et demi d’une guerre de tranchées, le couteau entre les dents, pour me débarrasser d’eux. Le jour où j’ai parlé à un représentant intelligent, je lui ai dit vous ne travaillerez pas longtemps chez Bell, vous êtes trop compétent. Aujourd’hui, ils ont trouvé une nouvelle source de revenus avec la vente des données personnelles de leurs clients. Bell mentalité.

On dirait parfois que nous aimons collectivement nous faire peur avec le gros méchant loup de George Orwell, de la vilaine sorcière qui va sortir du bois et nous transformer en crapaud. Comme si des gros méchants consultaient nos données dans une pièce noire éclairée à la chandelle et qu’ils aiguisaient leurs couteaux dans notre dos. Et puis après?

Je suggère plutôt que toutes ces données vont demeurer dans des disques durs et être utilisées par des gens moyens qui feront des interprétations moyennes pour être moyennement utilisées. Et pourquoi donc? Parce que notre société est remplie de gens moyens qui pensent moyen et qui produisent du travail moyen, comme ceux qui vendent les données de leurs clients à des annonceurs pour créer une nouvelle boucle de revenus. Et pourquoi cela? Parce que les entreprises en général ne visent pas l’excellence. Elles ne cherchent pas à se démarquer, mais à entrer dans le rang, à rejoindre la moyenne, la masse des consommateurs. En mathématiques, la portion centrale de la courbe de Gauss. Pour produire du moyen, les entreprises en général ne veulent pas des gens qui se démarquent, mais qui pensent comme tout le monde.

En huit mois et demi, j’ai parlé à une trâlée de gens moyens chez Bell. Et si mes données vendues à des annonceurs me valent une lettre de Shell ou d’Ultramar, vantant la qualité de leur essence, eh bien, la lettre ira rejoindre celle de Bell au recyclage.

Les données relatives à ma consommation générale et à mes habitudes de consommateur font partie de mon passé. Rien ne garantit que ces données servent à ces gens pour contrôler quoi que ce soit de ma vie. Dans la même veine, j’aime bien répondre à des sondages, ils ne sauront jamais si je dis la vérité.

Il y a une dizaine d’années, j’ai donné à un organisme d’aide aux enfants pauvres. Deux fois. Depuis, je ne compte pas le nombre d’organismes qui m’appellent pour me remercier d’avoir-aidé-leurs-enfants-dans-le-besoin-pauvres-handicapés-démunis-ils-vous-remercient-tellement-monsieur-Panneton-ils-ont-tellement-besoin-de-votre-aide. Depuis 10 ans, je leur dis non et chaque année, ils me remercient pour le don de l’année précédente. Et Bell serait en retard sur ces organismes?

Depuis que j’ai acheté un livre sur l’architecture, la librairie numérique amazon.ca m’envoie régulièrement des suggestions sur le même thème. Ils doivent penser que je suis un amateur d’architecture. Je suis intéressé par la géniale Phyllis Lambert, qui a conduit les travaux de construction du Seagram Building à New York, propriété de son père, Samuel Bronfman. Building Seagram traite non pas d’architecture, mais des couilles de Phyllis Lambert. C’est un livre d’anatomie, nonos. Allez expliquer ça à Bell.

Durant les huit dernières années, j’ai roulé en Volkswagen Passat. Je viens de changer pour une Jetta, plus petite. Les sceptiques ont été confondus. Le regard moyen de certains m’a demandé si j’allais bien. Je ne le leur ai pas dit, je préfère de loin ma Jetta actuelle à ma dernière Passat. Les gens de Bell ne comprendront jamais un tel raisonnement. C’est normal, leur objectif est de contrôler, donc, de ne pas écouter.
Et moi, plus je vieillis, plus je deviens libre.

Je ne suis pour ces gens qu’une statistique. Ils ne sont pour moi que du plastique.
Ils peuvent fouiller dans mes poubelles autant qu’ils le veulent, ils ne devineront jamais ce que je leur cuisine pour demain.






mardi 15 octobre 2013

30 secondes pour changer le monde


30 secondes pour changer le monde est certainement la meilleure émission portant sur la pub produite au Québec. Pour une fois, nous ne sommes pas dans les clichés de la pub gentille souriante et mièvre, dans les stéréotypes de publicitaires drogués flyés heureux. Ceux-ci sont inquiets.

Vraiment bien réalisée par Sophie Lambert, l’émission est produite par infopressetélé et diffusée sur les ondes de Télé-Québec. En 12 épisodes, on s’inquiète du sida, de la sécurité routière, de la violence conjugale, de l’environnement, du cancer du sein, de la drogue, du suicide, du poids, de l’alcool, du tabac, du jeu et de la pauvreté.

Cette émission ne parle pas de pub commerciale, mais de pub sociale. D’où l’engouement des publicitaires qui y participent. Ils ne causent pas de tôle à vendre, mais de morts dans des voitures, dont ces mêmes publicitaires vous ont pourtant déjà vanté les mérites.

Ce n’est pas de l’hypocrisie de leur part, mais une forme d’humanisme dans le temps. Le concepteur publicitaire est un artiste inachevé. Il prête son talent à une oeuvre qui sera signée par son annonceur. Sur le trottoir, personne ne se tourne sur son passage, alors que Serge Fiori, du groupe Harmonium, oui. Serge Fiori signe ses oeuvres.

Le concepteur publicitaire fonctionne sur commande. Il passe le plus clair de sa vie à vendre du dentifrice, des burgers, des chars et des bannières. On lui demande une pub de char, il en pondra durant des années. Ensuite, on lui demande une campagne sur la sécurité routière, il vous la pondra. Le concepteur publicitaire est la seule poule capable de pondre deux types d’oeufs, celui du poussin qui roule vite vite et celui de sa mère poule qui lui dit la vitesse tue.

Dans l’épisode portant sur l’environnement, Martin Ouellette. Le super à l’écran le dit publicitaire. C’est réducteur. Martin est certainement le plus génial de mes frères. Narcissique à souhait, le plus original communicateur de ma génération. Son discours est toujours à cheval sur le présent et le futur. Quand il cherche, Martin creuse la terre avec ses mains.

Regardez Martin, il a l’air torturé. C’est parce qu’il l’est. C’est ça, un communicateur. Il n’a pas les dents plus blanches que les vôtres, il ne roule pas dans carosse plus neuf que le vôtre. Son regard est meublé de châteaux, d’enfances, de motos et de seringues. Je me demande si Martin a le budget pour se brosser les cheveux. La couette rebelle est l’attrait de cette émission.

30 secondes pour changer le monde est un peu pute. L’émission fait découvrir le volet le plus agréable de la vie du publicitaire, la pub sociétale, celle qui vise à vendre non pas des salières ou des moteurs, mais une cause et un comportement. C’est la pub engageante, aussi bien pour celui qui la fait que celui qui la reçoit. Cette communication vise non pas la consommation, mais l’action.

La communication sociale est une course à relais. Le communicateur initie un projet qui sera prolongé par le citoyen. Un peu comme la publication d’un livre. Une fois publié, le livre n’appartient plus à son auteur, le public en fait ce qu’il veut. Dans la campagne 21avril.org, où 300 000 personnes se sont rassemblées dans les rues de Montréal, les citoyens ont pris le relais de Martin et du metteur en scène Dominic Champagne, la bougie d’allumage. La réponse des citoyens a dépassé les espérances des communicateurs. Pas de problème. Dans les mots de Martin, le communicateur gagne s’il perd le contrôle. Ce réflexe est à l’inverse de la pub commerciale, où l’annonceur cherche justement à garder le contrôle.

La pub sociétale sur l’environnement réussira-t-elle à freiner la pub des bagnoles? Faudra demander aux communicateurs, ce sont les mêmes.

La pub commerciale est une greffe qui ne prend pas. On a beau chercher bien des trucs pour accoler une image à un produit, la pub demeure une intruse dans nos vies. J’en veux pour preuves les tentatives de l’industrie pour trouver sans cesse de nouveaux moyens de nous rejoindre, couplées à nos différentes stratégies de zapping.

Il y a une raison pour laquelle la pub sociale est gratifiante à son auteur. En tant que communicateur, je me sens utile quand je travaille pour une cause. Je la signe. Peu importe qu’on ne se tourne pas sur mon passage. Le plaisir ne vient pas du mot publicité, mais du mot communiquer.




jeudi 10 octobre 2013

Paul Desmarais


J'ai connu Paul Desmarais au début 2013. Comme bien des gens, je pensais le connaître, les autobus Voyageur, les assurances, le génie des affaires, les relations politiques, Power Corporation.

En 2003, je me suis retrouvé dans ses bureaux, au Centre de commerce mondial de Montréal. Il n'était pas là ce jour-là. Sur les murs, des toiles de Riopelle, pas des petites, des grandes comme ça. J’ai soupçonné les murs d’être hauts à cause de la grandeur des toiles. Dans la salle de conférences, les murs étaient tapissés de Krieghoff, le peintre hollandais de nos hivers. Plus que du goût, de la grandeur. Je me croyais en Italie, même si je n'y suis jamais allé.

J'ai connu Paul Desmarais au moment où Pierre-Karl Péladeau, de Québécor, préparait le passage de ses journaux du papier au numérique. Sa recette était simple: saccager, à coups de lock out et de mépris, le moral des artisans du Journal de Québec et du Journal de Montréal.

Pendant ce temps, Paul Desmarais s'assoyait avec ses gens des médias pour discuter du même passage pour les journaux de Gesca. Il en est sorti La Presse +, non seulement l'avenir du quotidien La Presse, mais du journal imprimé tout court.

Depuis, Péladeau a été éjecté de son entreprise. Paul Desmarais est demeuré l'âme de la sienne, il avait préparé sa succession.

Paul Desmarais n'a jamais dirigé les discussions avec les employés de Gesca. Sa vision et ses fils ont pris les choses en mains.

Paul Desmarais est un nouveau média. Je l'ai connu en voyant La Presse +, son héritage aux visionnaires.

Un visionnaire ne connaît pas de compétiteurs. Le seul qui puisse lui porter de l'ombre, c'est le temps. Aujourd'hui, le temps a gagné.





jeudi 3 octobre 2013

Jacques Parizeau


Pauline Marois n’a pas de très bons yeux. C’est écrit dans son regard. Les personnes intelligentes, celles qui portent une vision, ont une perspective dans le regard. Je parle de René Lévesque, de Lucien Bouchard et de Jacques Parizeau.

Une amie me disait la semaine dernière que Pauline Marois a une intelligence pragmatique, sa force est dans le quotidien. Je veux bien. La perspective du quotidien est de 24 heures, une fourmi ne fait pas une Reine. Pauline Marois a un regard à plat, 24 heures.

Aujourd’hui, Jacques Parizeau a publié une lettre dans le Journal de Montréal. Une lettre sensible à propos du projet de Charte des valeurs québécoises, celle dont on dit que le gouvernement de Pauline Marois n’a pas osé appeler la Charte de la laïcité. La lettre de Jacques Parizeau a été saluée par son ton tranquille, posé, le calme de la sagesse de celui qui a vécu. Pauline Marois a dit que la lettre de Jacques Parizeau serait reçue comme celle d’un citoyen. Elle n’a pas parlé du ton, elle n’a pas dit merci, elle l’a regardé de haut. Le regard à plat, comme du papier journal.

Jacques Parizeau est le plus grand commis de l’État que le Québec ait engendré. Avant d’être recruté par René Lévesque pour aller négocier la privatisation de l’électricité avec des financiers de New York, Jacques Parizeau était déjà reconnu comme un grand économiste. Il est non seulement allé à New York, il a écrit le premier projet économique du Québec moderne, la Révolution tranquille. Son regard ne s’est pas arrêté là. Il a offert au Québec des outils pour son développement économique. Les Québécois sont habiles avec des outils. Jacques Parizeau leur a offert des coffres, la Caisse de dépôt, la Régie des rentes du Québec. Il a même signé aux dirigeants du syndicat de construction FTQ, le chèque leur permettant de démarrer le Fonds de solidarité FTQ. Le chèque de dix millions est devenu la base d’un actif de neuf milliards.

Il y a près de 10 ans, Jacques Parizeau a été invité au Mali pour donner son avis quant au redressement des finances publiques du pays. Quand les Maliens lui ont demandé s’ils réussiraient à faire le ménage dans leur fouillis, il leur a dit vous allez y arriver. Je n’y étais pas, j’ai imaginé le sourire en coin et le regard du sage qui a vécu. Les Africains aiment les sages qui ont vécu. Ils ne les considèrent pas comme des citoyens ordinaires, mais comme une partie de leur avenir. Quand les mêmes Maliens m’ont conté l’histoire, il y a deux ans, j’allais écrire un plan de communication pour le ministère de l’Économie et des Finances, pour le redressement des finances publiques du Mali. Grands sont les souliers de Jacques Parizeau.

Il y a deux semaines, j’ai assisté à une conférence en l’honneur d’Abdou Diouf, ancien président du Sénégal et Secrétaire général sortant de la Francophonie. Jean-François Lisée, actuel ministre des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur du Québec, a ficelé un de ces discours en l’honneur de M. Diouf, que seule l’intelligence permet d’écrire. Une grande finesse, une belle sensibilité, devant 400 personnes. J’ai dit à ma voisine de table que c’est ce genre de discours qui nous manque, au Québec. Pour cela, il faut savoir lire.