samedi 29 novembre 2014

Mauritanie


Mauritanie, pays d’Afrique. Pendant de longues années, Mauritanie aura été deux mots dans mon esprit. Je pourrais ajouter “quelque part en”, tellement les mots ont longtemps été vagues.

Dimanche dernier, nous sommes allés au restaurant La Khaïma, un resto mauritanien sur la rue Fairmount. En ouvrant la porte, Mauritanie est devenue tente, désert, bienvenue, arabe, palissa, couscous, agneau, parfums, délices.

Je pensais la Mauritanie un pays habité par des Noirs d’Afrique, la population est plutôt de type Arabe. Je ne les savais pas francophones. Il suffisait d’y penser, l’Afrique de l’Ouest. Pas vraiment, la Mauritanie fait partie du Maghreb.

Khaïma veut dire tente traditionnelle. Elle est utilisée par les nomades de la Mauritanie et du Maroc. Dans la société Sahraouie, du Sahara, khaïma veut aussi dire famille, tribu. Plus on entre dans la Khaïma, plus Mauritanie prend une couleur nouvelle. L’Afrique du désert est très colorée.

Les mots ne changent pas. C’est nous qui changeons autour d’eux. Nous les faisons évoluer selon nos humeurs et notre curiosité. En fouillant dans mes souvenirs, je me suis rappelé autre chose de la Mauritanie. J’étais allé pour un tournage, d’Abidjan, en Côte d'Ivoire, à Dakar, au Sénégal. L’avion avait survolé la Mauritanie. Au retour, nous volions dans un Bombardier. Mauritanie veut aussi dire fierté dans le ciel.

C’était un faux souvenir. En réalité, l’avion a survolé la Guinée et le Mali. La Mauritanie est plus au nord. Les mots nous font voyager aussi loin que l’erreur. Le ciel de Mauritanie, ce sera pour une prochaine fois.

La palissa contient beaucoup de délices, de la viande de pigeon, du riz et de la pâte feuilletée. Ce plat viendrait du Maroc. Je l’imagine traverser le désert à dos de chameau, enroulé dans une khaïma. Quelque part sur le sable, elle cuit sur un feu, des nomades assis autour en famille, un peu avant le thé. La Mauritanie est certainement très belle.

Dimanche, Samia aussi était belle. Elle est entrée dans le resto, nous étions 15 à l’attendre sous la tente. Elle nous connaît tous. Chaque année depuis 22 ans, dans un camp d’hiver à St-Côme, ce groupe passe deux jours à glisser, skier, patiner, hockey. Au début, c’était beaucoup pour les enfants. À la longue, c’était aussi pour la famille élargie.

Cette année, il n’y aura pas de St-Côme. Jean-Pierre a pensé inviter le groupe pour saluer Samia. Elle est née dans une famille algérienne en France. Elle vit ici depuis deux ans. Ce soir, Mauritanie, tribu, khaïma, palissa, fête, Samia.

Les mots ne changent pas. C’est nous qui évoluons autour d’eux. Aujourd’hui, dans mon esprit, Mauritanie est la rencontre entre une tente et une femme. La tente dit à la femme tu es ici dans ton pays.





dimanche 23 novembre 2014

La parole


Dimanche dernier, 20 000 personnes ont pris la parole dans les rues de Montréal, pour empêcher la fermeture de Radio-Canada. Une fois de plus, le gouvernement du Canada, bailleur de fonds de Radio-Canada, tente de couper la parole au diffuseur public en lui imposant des coupures. Cette semaine, dans une charge remarquée à l’Assemblée annuelle de Radio-Canada, le journaliste et animateur Charles Tisseyre a évoqué le montant de 700 millions de $ de coupures depuis les années 70.

J’écoutais la sortie de Charles Tisseyre et j’imaginais la même scène à TVA: le journaliste Pierre Bruneau dénonçant les orientations financières de TVA devant son patron, Pierre-Karl Péladeau. Pierre Bruneau n’aurait même pas le temps de terminer sa phrase, il serait en lock-out.

L’assemblée annuelle de Radio-Canada est un espace unique. Une fois l’an, le public est invité à poser des questions à la haute direction du diffuseur, dans un exercice public. Il n’y a qu’à Radio-Canada où un ancien directeur de l’information, Alain Saulnier, ou un ancien journaliste, Jean-François Lépine, critiquent ouvertement la haute direction à l’émission Tout le monde en parle. Vous ne verrez jamais cela à TVA.

À Radio-Canada, la parole est plus large. Il y a une quinzaine d’années, le réalisateur Pierre Plante et moi étions à la recherche d’un diffuseur pour le financement d'un documentaire sur le jeu compulsif au Québec. La chaîne spécialisée Canal D avait refusé, invoquant des représailles possibles de l’annonceur Loto-Québec. TVA avait refusé, le réseau ne diffusant pas de documentaire. Le journaliste Jean-François Lépine nous avait ouvert les portes de Radio-Canada, le diffuseur considérait le documentaire comme faisant partie de l’information.

Elle est là, la largeur de la parole. Un diffuseur privé ne vise que la performance économique. L’information importe pour ce qu’elle rapporte. J’ai déjà vu, chez un diffuseur privé, un vice-président programmation exiger d’un producteur de couper des extraits d’un reportage. Un de ses annonceurs aurait pu mal paraître, tu coupes ou je ne diffuse pas. C’est beaucoup cela le privé. Pour protéger les revenus, on coupe la parole. Le mandat de Radio-Canada est d’informer. C’est cet espace de liberté qui est visé. Nous sommes dans une autre sphère.

Hubert Lacroix est président de CBC-Radio-Canada. Lorsque Charles Tisseyre a fait sa sortie cette semaine, Hubert Lacroix faisait partie du groupe qui n’applaudissait pas, ne souriait pas. Le président de Radio-Canada devrait pourtant être son premier défenseur.

Hubert Lacroix reproche aux manifestants pro Radio-Canada de passéisme. Il se trompe. Bobino, les Beaux dimanches, Bernard Derome et Enquête parlent de la même voix. Ce sont des voix de référence. Elles ont établi des standards de créativité, de rigueur et d’indépendance. Radio-Canada permet une parole qui n’existe pas ailleurs. C’est celle-là qui est visée par les coupures, car elle dérange.

À l’époque des premiers ministres Pierre Trudeau et Jean Chrétien, Radio-Canada était considéré comme un nid de séparatistes. Aujourd’hui, Stephen Harper cache difficilement la haine qu’il porte au diffuseur public. Il s’agit pourtant du seul diffuseur national. Il est quand même étrange que les politiciens ne s’en rendent pas compte. En fait, ils le savent très bien. C’est pour cette raison qu’ils cherchent tant à le faire taire. Que font les ministres québécois du gouvernement Harper pendant ce temps? Ils bêlent.

Faisons le jeu de mots: la parole n’a pas bonne presse au Québec par les temps qui courent. Les 16 lock-outs de Pierre-Karl Péladeau pour museler ses employés du Journal de Montréal et du Journal de Québec durant des années en sont témoins. La rage de Péladeau est privée, le fils n’est pas à la hauteur du talent de son père. La haine de Stephen Harper est publique. Il ne peut concevoir une parole inspirante, elle doit absolument être contrôlée. Comme la parole des scientifiques. Comme celle des ONG. Il faut tuer Walt Disney.

La parole est l’eau du fleuve dont la démocratie est le lit. Et le fleuve coule vers son élargissement, l’océan. Nous avons dans notre cour un des plus beaux fleuves au monde. Les projets pour donner au public accès à ses rives ne manquent pas. La métaphore vaut pour Radio-Canada. Une référence culturelle pour une société distincte. Sans Radio-Canada, la commission Charbonneau n’aurait pas eu lieu. Nous devons en prendre soin. Enquête est du même lit que Bobino. L’horizon n’est pas seulement loin, il est large.




samedi 15 novembre 2014

On dirait le sud


Vers 19h aujourd’hui mardi, heure de Paris, le robot Philae a atterri sur la comète «Tchouri», vieille de 4,5 milliards d’années. Le robot a voyagé à bord de la sonde européenne Rosetta durant 10 ans. Il a parcouru 6,5 milliards de kilomètres, pour se retrouver à environ 510 millions de kilomètres d’ici. C’est la rencontre du Big Bang et XXIème siècle, un retour à nos toutes premières origines, la formation de la Terre. Ok, qui va annoncer la nouvelle aux talibans ? C’est bien connu, les talibans raffolent mettre du plomb dans la tête de ceux qui savent.

Sur lemonde.fr, l’astrophysicien Français Francis Rocard utilisait des mots simples pour raconter en direct cette nouvelle odyssée. Vis, train d’atterrissage, senseurs scientifiques, système d’amortissement, caisse, voyage, largage, descente, 2,5 km/h, atterrissage, 3,5 km/h, on se serait cru en avion.

Le nouveau arrive par de vieux mots. Je connaissais ceux utilisés par Francis Rocard, mais rien de ce qui se passait sur Tchouri. Avec des mots connus, Francis Rocard a fait tourner dans mon esprit un film nouveau. Du moment où Philae atterrit (acométit ?) sur Tchouri, le film n’est plus de fiction, mais documentaire.

Les mots sont toujours les mêmes. Ce doit être pour cette raison que nous disons que nous n’avons rien inventé depuis 2 000 ans. Même les mots nouveaux émergent de racines plus anciennes. Le téléphone sonne : allo ! En grec, allo veut dire autre. Le nouveau, c’était le téléphone de monsieur Bell. Télé, loin, phone, voix. En son temps, le téléphone a été une comète. Celle-là, les talibans l’ont ratée, ils n’avaient pas le téléphone.

Le mot internet vient du mot anglais internetting, interconnecter les réseaux. Et Wikipédia vient du mot hawaïen wiki, vite. Wiki se dit aussi vite que vite. Paideia, mot grec, veut dire éducation. Bref, les mots se régénèrent en fonction des nouvelles réalités.

Israel Kamakawiwo’ole aussi venait des îles d’Hawaïi. Son ukulele avait l’air minuscule sur son immense corps. Une comète sur une planète, lorsqu’il chantait Somewhere over the rainbow. Une voix pour flotter sur l’eau. Les cendres d’Israel Kamakawiwo’ole ont été dispersées dans l’océan, dont les scientifiques pensent que l’eau vient de la glace des comètes qui ont heurté la Terre.

Au début, il n’y avait que du magma. À la longue, il a refroidi. Il s’est regénéré, les océans, les continents, la vie est sortie de l’eau, l’homme est descendu du singe et Philae dort sur Tchouri. Un satellite issu du magma. Il aura fallu tout ce temps pour que cette rencontre improbable ait lieu.

La matière sur laquelle nous marchons chaque jour a déjà été en fusion. Elle s’est refroidie et a durci. Elle a permis la vie. Comme les mots. Ils sont parfois en fusion, ils refroidissent aussi.

Si nous utilisons les mêmes mots pour décrire de nouvelles réalités, ce doit être parce qu’il n’y a rien de nouveau. Christophe Colomb débarque en Amérique, Neil Armstrong sur la Lune et Philae sur Tchouri. Le même geste, de plus en plus loin, avec des outils différents et les mêmes mots. Vers l’infini et plus loin encore, dirait le jouet Buzz Light Year, du film Toy Story.

Mon cerveau ne peut comprendre tout l’univers, Rosetta et le plus long rendez-vous de l’Histoire. Les mots, oui. Ils enveloppent l’univers, le nomment et racontent les histoires. Pour eux, six milliards, ce n’est qu’un chiffre. Pour mon cerveau, c’est le vertige.

Question : une comète se déplace dans l’univers à la vitesse de 66 000 km/h. Combien de kilomètres a-t-elle parcouru depuis sa naissance, il y a 4,5 milliards d’années ? Le taliban cherche les Advil.

On dirait le sud, le temps dure longtemps et la vie sûrement plus d’un million d’années, chante Nino Ferrer. Notre alphabet compte 26 lettres. Nous n’aurons pas assez de toutes nos vies pour en faire le tour.




lundi 13 octobre 2014

L'odyssée


Il y a quelques semaines, ma fille Camille est partie pour la Nouvelle-Zélande. Le lendemain matin, elle rentrait à la maison. À Vancouver, elle a décidé qu’elle ne voulait pas partir, elle n’était pas prête. La peur, l’avion, la vie, papa je rentre à la maison.

Comprendre la peur de l’avion, toutes ces heures consacrées à angoisser sur ce qui pourrait arriver, à ne pas profiter de ce qui se passe. L’angoisse, c’est la sorcière cachée sous le lit, elle va attraper le pied de l’enfant. L’angoisse essaie de nous éloigner du moment présent. En échange, elle nous offre la peur. L’angoisse demande pourquoi ai-je acheté un billet dans un avion qui va exploser ? Le voyage est long.

Le voyage d’une fille est un peu aussi celui du père. L’espace nouveau pris par la fille est en quelque sorte enlevé au père. Une fille qui voyage durant un an en Nouvelle-Zélande, c’est un an de moins de cette fille dans la vie de son père. C’est la partie sensible du voyage. Un père heureux de voir sa fille trouver son bonheur lâche du lest. Le voyage, ce sont aussi des vases communicants.

Lorsque ma fille revient de Nouvelle-Zélande 24 heures après son départ, nous sommes en zone d’inquiétude. Durant les trois journées suivantes, la seule phrase complète qu’elle m’adressera, c’est bonne nuit.

L’idée pour le père n’est pas de connaître tous les tenants et aboutissants de l’inquiétude, mais d’offrir à sa fille des éléments de solutions, des pistes à explorer pour la suite des choses. Dans le plus long des scénarios, il se pourrait que la vie de ma fille soit dorénavant divisée en Avant et Après ce bref aller-retour. Il se pourrait que, au fur et à mesure de son avancement, le temps offre à ma fille une perspective différente sur cet incident. Cela se passe dans la vie de ma fille. Ce qui se passe dans la mienne est autre chose. Et toutes les discussions autour de l’incident ouvrent une perspective nouvelle. Elle est là, l’odyssée. Ce n’est pas la couleur des palmiers dans l’hémisphère sud, ni les odeurs de soufre de Rotorua. L’odyssée, c’est l’espace nouveau créé par les palmiers dans la vie de la voyageuse et dans l’esprit de son père.

Depuis près de 40 ans que je le connais, mon ami Jean-Pierre a voyagé des dizaines de fois. Cela pouvait durer un mois, 12 ou 18. Il y a deux ans, il m’a dit que le voyage lui avait toujours permis de prendre à distance la mesure du Québec. Aller loin pour se rapprocher est un long processus d’identité.

En 2003, je suis allé au Pérou. J’étais président du Club 2/3, un organisme d’éducation et de coopération internationale auprès des jeunes. J’allais visiter une douzaine de projets dont le Club 2/3 avait appuyé le financement. Dans un quartier de Lima, nous visitons un projet d’aqueduc, reconstruit suite à un glissement de terrain. Un grand-oeuvre entièrement à flanc de montagne, refait par les résidants du quartier, sous la supervision d’une ingénieure Péruvienne.

En voyant les maisons de pierre du quartier, construites pour vivre 100 ans, je me dis tous ces visages fiers de leur aqueduc sont locataires. Les gens passent, la maison demeure. Une maison de bidonville est assurée de vivre longtemps dans la pauvreté, alors que ses locataires, pas nécessairement.

Le voyageur passe devant le palmier. Il vit dans la maison. Il parle une langue. Nous sommes tous locataires de l’espace des palmiers, des maisons et de la langue, qui nous survivront longtemps. Certains prennent soin de l’espace loué, d’autres non. Elle est là, l’odyssée.

Depuis quelques jours, ma fille est de très bonne humeur. Elle part demain pour la Nouvelle-Zélande. La sorcière se cache sous le lit, elle ne lui attrapera pas le pied.





vendredi 10 octobre 2014

Nous ne sommes pas loin de Woodstock


Plus la vie avance, plus les médias pénètrent en nous. À la maison, dans la rue, les autobus, le métro, dans les écoles et les parcs, ces têtes penchées sur leur écran à écrire, à jouer, à écouter, bla bla, comme si elles s’apprêtaient à plonger dedans. Les réseaux en temps réel, où coule le flot de la nouvelle communication.

En première page le 1er octobre, le quotidien La Presse annonce Le Blues du débranché, une mini-saga du journaliste Patrick Lagacé, qui a débranché ses appareils numériques, pour retourner à l’âge du papier et du temps qui passe. Le mini mélodramme d’un gars qui fait rire de lui, parce qu’il propose un sujet à une équipe de travail. L’équipe avait unanimement rejeté ce sujet dans des courriels auxquels le journaliste débranché n’a pas eu accès. En passant, être débranché ne garantit pas que vous serez mal informé.

L’omniprésence des médias dans nos vies a débuté en 1841, avec la découverte des ondes électromagnétiques, qui ont amené l’avènement des télégraphes, radios, télés, portables, numériques et ainsi de suite. À partir de ce moment, les relations entre humains ont commencé à connaître une accélération qui ne s’est jamais démentie depuis. Au coeur de ces relations, un média électrique puis électronique puis numérique. Aujourd’hui, une grande partie de nos échanges sont médiatisés, un bidule portable entre nous et les autres. Et tout indique qu’il soit là pour rester.

Patrick Lagacé capote, comme tout compulsif angoissé à qui on enlève son jouet. Comme si une encyclopédie en papier égalait un retour en arrière. Comme si retrouver subitement du temps annonçait un danger.

Le papier possède une grande qualité que le numérique a oubliée, le respect du temps. Consulter du papier, c’est prendre le temps de tourner des pages, de parcourir des chapitres, de revenir en arrière et de donner au cerveau de la latitude pour se construire une idée. Le papier n’est pas compulsif.

Nous ne nous branchons pas pour être plus instruits ou mieux informés, mais pour faire partie des autres. De la même manière, écrit le journaliste Pierre Sormany, nous ne lisons pas les journaux pour nous informer, mais pour causer actualité avec les collègues. La fonction du média est sociale. Ceux et celles qui veulent jouer sur la galerie sont des branchés. Les autres, des rétrogrades.

Le nouveau a ceci de particulier qu’il charrie toujours avec lui le tabou de ne pas critiquer le nouveau. Critiquer le nouveau, c’est critiquer les usagers du nouveau dans leur choix. Et ça, les usagers du nouveau n’apprécient pas. La nouvelle technologie transporte avec elle un nouveau sentiment d’identité. Grâce à elle, je m’identifie à la nouvelle tendance. Huit jours après son lancement, Apple annonce avoir vendu 10 millions d’iPhone 6.

Sur Internet, il n’y a pas de désir, le café est instantané. Je clique, j’ai. Le désir demande du temps, c’est ce qui rend la suite si intéressante. Le papier crée le désir. L’information est quelque part, je vais la découvrir. Au cinéma, c’est The Bridges of Madison County, avec Clint Eastwood et Meryll Streep. Cent trente-cinq minutes de désir.

Pour avoir grandi dans du papier, je sais aujourd’hui mettre en perspective l’instantanéité de google avec le temps de recherche que le papier demande. Je sais l’apport du temps dans une bonne recherche. Ce n’est pas le cas de google. Je trouve mes infos en 10 minutes et voilà la recherche achevée.

Lorsque je regarde Woodstock, de Michael Wadleigh, je suis frappé de voir le temps que ces jeunes avaient pour eux. Le seul moment du film où leur relation est médiatisée, c’est dans cette longue file où les jeunes vont déposer 10 cents dans le téléphone public, dire allo maman tout va bien, je te vois dans deux jours. Et de raccrocher et de parler à leur mère dans deux jours. Deux jours! Le bonheur d’une ballade en moto sans casque. Easy Rider.

Dans les années 50, on vantait la technologie comme le moyen de nous approcher de la société des loisirs. En l’an 2000, annonçait-on, nous ne devrions à peu près plus travailler, les machines s’en chargeront. Or, la nature a horreur du vide. Il suffit de gagner du temps pour le passer à faire autre chose. Aujourd’hui, vous pouvez taper en même temps un texte tout en lavant la vaisselle, le linge, arroser le gazon et vous couler un café. Sans oublier d’allumer la radio.

Et si vous voulez créer l’événement, vous vous débranchez de tout. C’est le monde à l’envers. Depuis 4 milliards d’années, la vie normale est débranchée. Les seuls gagnants à notre angoisse collective, ce sont les réseaux.

Ma fille n’a pas de cell et elle s’en porte très bien. Ses amis ne sont pas manchots, la nature s’est organisée autour d’elle. Une de ses amies n’est pas invitée aux partys. Ce n’est pas faute de branchements, c’est parce que les autres ne veulent pas la voir. C’est aussi cruel, la technologie.

Et pourtant, nous ne sommes pas loin de Woodstock. Un clic, en fait. Lagacé cite l’humoriste Louis-José Houde qui, portable ouvert ou fermé, s’en passe aisément. Dans mon cas, la limite est physique, je n’aime pas passer du temps devant les écrans.

Lorsque le seul fait de mettre un interrupteur à off génère une angoisse, nous avons un sérieux problème. Le seul antidote à l'angoisse, c'est de dire non. Mais pour dire non, il faut du caractère.




vendredi 3 octobre 2014

Renaud Garcia-Fons


Cette semaine, j’ai vu la perfection. En pitonnant une litanie d’émissions plates, je suis tombé dans un moment de grâce sur la chaîne spécialisée Planète +. L’effet est instantané. Tu es ailleurs, tu ne sais pas où, c’est la perfection.

Renaud Garcia-Fons joue de la contrebasse. Il vole sur sa contrebasse. Avec ce qu’on appelait des mains de guitariste, de longs doigts au bout de mains minces.

Comme le violon et le violoncelle, la contrebasse n’a pas de touches sur le manche. Le musicien doit être excessivement précis à chacune de ses notes. La guitare, la mandoline et le banjo ont des touches sur le manche pour indiquer l’emplacement des notes. Le niveau de difficulté est différent.


Renaud-Garcia-Fons sur une contrebasse, c’est un violon, une sirène, une soprano colorature, une guitare flamenco, une tambourine, Jimi Hendrix. Ce n’est pas que Garcia-Fons imite Hendrix. La musique a décollé, nous ne sommes plus dans l’instrument.

Pour comprendre, il faut le voir jouer. Ce que vous entendez passe plus vite que ce que vous voyez. En même temps, ce que vous voyez est du jamais vu. Votre cerveau est toujours un peu en retard. Ça a l’air curieux dit comme ça, mais c’est ça.

De voir les doigts frapper les cordes pourrait suffire. Mais lorsque Garcia-Fons sort l’archet, il passe au stade supérieur. À chaque note, les doigts tombent au bon endroit et repartent avant d’arriver.

Ce n’est pas de le voir tapoter la caisse de sa contrebasse comme une boîte de carton, ou de le voir glisser les doigts sur le manche. C’est que ça marche. Je tapoterais le bord de ma guitare sans que ça marche nécessairement. Lui, oui. C’est la musicalité. La musique, c’est du bruit qui pense, écrit Victor Hugo.

La contrebasse de Garcia-Fons est fabriquée sur le modèle de la guitare flamenco. Tout se passe à l’intérieur. Elle sonne parfois comme un violon, une sirène ou un chat. La contrebasse est un instrument de nuit.

Un ami de Garcia-Fons raconte l’affection avec laquelle il porte sa contrebasse. J’ai deux guitares comme ça. Vous en sortez une de son écrin comme vous soulevez bébé de sa bassinette, en faisant attention de ne pas le réveiller. Il m’arrive souvent d’en garder une dans les bras, sans jouer, c’est chaud. C’est pitou qui dépose la tête sur vos genoux.

Je joue ma vieille 1967 depuis 30 ans. Vient un moment où je connais son manche par coeur, j’ai un bras gauche et deux bras droit. Quand je vois dans la récente bande-annonce du groupe irlandais U2, le guitariste “the edge” détruire sa guitare, je me dis quel imbécile. Il ne faut pas briser celle qu’on aime.

Le génie consiste à voir des choses que le commun des mortels ne voit pas. Renaud Garcia-Fons dit au commun des mortels je vais te jouer ce que j’ai vu. Et vous savez ce qu’il fait pendant qu’il joue? Il regarde ailleurs.



mardi 30 septembre 2014

Le Petit Poucet


Bonjour, madame Nadon.

Dans les années 60, nous arrêtions régulièrement au Petit Poucet, le restaurant de vos parents. À l’époque, tout véhicule qui se rendait dans les Laurentides passait à votre porte, sur la route 117, à Val-David. Nous, c’était direction La Conception.

Nous étions cinq enfants à l’époque, autour d’une table en bois, dans un univers de bois, à goûter votre jambon et votre sirop d’érable. Assis sur des chaises en bois, nos pieds ne touchaient pas le plancher de bois. Nous étions à l’intérieur d’un arbre.

Une tradition s’imprègne en nous sans demander notre avis. Nous nous sentions chez nous avec votre jambon et vos ragoûts. Je reviens aujourd’hui pour la première fois en sept ans, depuis que le feu a enlevé à nos souvenirs votre beau restaurant.

La nouvelle structure de bois est du même âge que la précédente, vous avez choisi des morceaux de la même famille. Elle est donc imprégnée de la même maturité, elle a connu les mêmes vents et n’a eu aucune difficulté à faire sienne la mémoire du Petit Poucet.

L’architecture diffère de la première. Le plafond cathédrale a remplacé le plafond bas qui servait de plancher au deuxième étage. Au centre de cette cathédrale, le haut foyer et sa structure en bois. Et pourtant, une personne distraite pourrait ne pas se rendre compte de ces changements et croire simplement que ah oui, ils ont changé les salières, c’est ça.

Ce que j’ai aimé de cette nouvelle structure, c’est d’y retrouver intacts mes souvenirs d'enfant. Je me sentais aussi bien aujourd'hui dans votre espace qu'il y a 50 ans. Vous avez rénové en pensant à nos souvenirs, c'est la sensibilité du bois. Un grand tour de force.

Je ne vous connais pas, j’ai su votre nom aujourd’hui, Carole Nadon. Je sais aussi que vous avez remplacé vos parents, comme je remplace les miens.

La beauté des souvenirs d'enfants, ce sont les endroits où ils peuvent se perpétuer. Mes parents ne verront jamais le Petit Poucet nouveau. Et pourtant, ils étaient assis avec nous aujourd'hui. Je vous envoie nos amitiés.





vendredi 5 septembre 2014

Une histoire sans fin


En 1972, un peu avant la rentrée de ma première session au cegep St-Laurent, mon ami Claude Renaud me parle d’une annonce qu’il a vue dans le magazine Perspectives, du journal La Presse. Sur la rue Mayrand, à Ville Mont-Royal, Télé Câble 9 cherche des jeunes pour faire de la télévision communautaire. Nous parlons à des copains en cinéma et nous nous retrouvons à huit dans les studios de Câble 9 pour une soirée de formation. Louis Plante, Denis Tétrault, Louis Adam, Raynald Leblanc, Richard Cusson, notre animatrice Carole Gagliardi, Claude et moi. Nous diffuserons durant trois ans, presque tous les mercredis soir. Télévision Communautaire de St-Laurent (TCSL).

En entrant dans le studio la première fois, j’ai eu un coup de foudre. Ce lieu avait un je-ne-sais-quoi de grand. Notre premier réflexe a été de regarder dans nos entourages pour choisir le thème de notre première émission. Joseph Plante, le frère de Louis, viendra parler d’un camp de nudistes à Rawdon.

Lorsque l’émission était diffusée en différé, nous allions la regarder à la Taverne Principale, la TP, une heure après la production. Un soir, un technicien de Câble 9 a vu notre copain passer nu devant la caméra, un sac de papier sur la tête. Lorsque nous nous sommes retrouvés à la TP, notre émission avait été censurée. C’était l’époque des nuvites.

La semaine dernière, je donnais un cours au cegep Rosemont à des étudiants à leur première session. Je leur ai raconté en ouverture que, en 1972, un peu avant la rentrée de ma première session de cegep St-Laurent, mon ami Claude Renaud m’avait parlé d’une annonce parue dans le magazine Perspectives, du journal La Presse. À Ville Mont-Royal, Télé Câble 9 cherchait des jeunes pour faire de la télévision communautaire. Claude et moi avons parlé à des copains en cinéma et nous nous sommes retrouvés à huit dans les studios de Câble 9 pour une soirée de formation. Nous avons diffusé durant trois ans, à raison d’une émission par semaine, le mercredi soir.

En entrant dans le studio la première fois, j’ai eu un coup de foudre. Ce lieu avait quelque chose de magnétique. Notre première portera sur un camp de nudistes à Rawdon. Joseph Plante, le frère de Louis, sera notre invité.

Lors d’une élection fédérale, les conseillers politiques du député libéral Claude Forget ont mobilisé notre ligne téléphonique pour des appels au public. Ils avaient noté le numéro que nous affichions à l’écran lors de la préparation avant l’enregistrement. Lorsque l’émission était diffusée en différé, nous allions la regarder à la Taverne Principale, la TP, une heure après la production. Les clients trouvaient amusant de voir notre animatrice à la fois derrière une bière et dans l'écran.

Ce soir, j’écris l’histoire de mon cours de la semaine dernière au cegep Rosemont. Comme mes étudiants en sont à leur première session, je leur ai raconté en ouverture que, en 1972, un peu avant la rentrée de ma première session de cegep St-Laurent, mon ami Claude Renaud m’avait parlé d’une annonce parue dans le magazine Perspectives, du journal La Presse. Télé Câble 9, à Ville Mont-Royal, cherchait des jeunes pour faire de la télévision communautaire. Nous nous sommes retrouvés à huit chez Câble 9 pour une soirée de formation. Nous avons diffusé durant trois ans, à raison d’une émission par semaine, le mercredi soir.

En entrant dans le studio la première fois, j’ai eu un coup de foudre. Ce lieu avait quelque chose de suspendu. La première émission a porté sur un camp de nudistes à Rawdon.

Un soir, nous avons reçu une chorale. Comme nous avons oublié de faire une prise de son, nous avons diffusé en ajoutant une musique sur l’image. Lorsque l’émission était diffusée en différé, une heure après la production, nous allions la regarder à la Taverne Principale, la TP. Même si elle était diffusée en direct, nous nous retrouvions à huit à la TP. Louis Plante, Denis Tétrault, Louis Adam, Raynald Leblanc, Richard Cusson, notre animatrice Josée, qui a remplacé Carole, Pierre le nuvite, dont j’ai oublié le nom, qui a remplacé Claude, et moi. Il ne reste rien de toutes ces émissions.

J’ai compris plus tard pourquoi le coup de foudre en entrant dans le studio. Dans cet endroit fermé où tout est possible, le temps n’existe pas.




lundi 21 juillet 2014

Demain cinq heures


Le matin, vers 5h, j’ouvre la porte patio et je sors dans ma cour. Au fond, il y a la petite rue Roy et, 100 pieds plus loin, sur ma droite, le parc Decelles. Papa m’a déjà dit quand tu iras au parc Decelles, tu pourras te sentir chez toi.

Mon père était entrepreneur électricien. Le seul contrat qu’il ait obtenu de Ville St-Laurent a été d'installer l’éclairage du parc Decelles, dans les années 70. Il y a perdu 10 000 $. Je ne sais pas comment il a obtenu ce contrat. Je ne sais pas non plus pourquoi il l’a fait. Il n’était pas ami avec le maire, il ne faisait pas partie de la gang. Papa n’a jamais fait partie d’une gang et n’a jamais été un gars de taverne, comme plusieurs entrepreneurs de la gang. Mais c’était un homme travaillant. Ce doit être le travail.

Un peu plus loin dans le même parc, je passe devant la piscine. Autrefois, il y avait à cet endroit la maison où ma mère habitait. Aujourd’hui, je fais des longueurs dans son salon.

Je traverse la rue de l'Église. Il n'y a personne. Où que je regarde, pas un chat. Trois ou quatre écureuils et une douzaine de moineaux occupent la rue. Les feux rouges contrôlent la circulation de personne. Des icônes de vélo peintes sur l’asphalte sont les seuls témoins de la piste cyclable. Si je ne vois personne, et que personne ne me voit, c'est donc dire que même moi, je n'y suis pas?

La rue Filiatrault, à cause des arbres. Immédiatement derrière la bibliothèque, la maison qu’a habitée ma grand-mère, la seule que j’aurais pu connaître. Je me souviens de l’image floue d’une petite dame. Quand papa nous emmenait chez elle, elle nous offrait un verre de Coke et des bonbons Taveners, enrobés d’une poudre sucrée. Quarante ans plus tard, en Nouvelle-Écosse, je vois une boite de Taveners sur le siège d’une auto. J’entre dans le bar pour connaître le propriétaire. Je lui demande où je peux me procurer des Taveners. J’en ai acheté six boîtes, mes parents ont eu six enfants.

Rue Filiatrault jusqu’au bout, vers la rue St-Louis. À l’angle de Cartier et Ste-Croix, un point de vue que je n’avais jamais vu, comme un coin béni. À cause de l’orientation des rues, il faut être à pied pour voir ce point de vue. À gauche, l’avenue Ste-Croix ressemble à un corridor religieux. C’est l’ancien Collège St-Laurent, devenu cegep, suivi de l’église St-Laurent puis, au fond, l’ancienne école Basile-Moreau, devenue cegep Vanier. Tourne la tête à droite, c’est l’oratoire St-Joseph au loin. Et ce matin, entre les deux, le soleil qui se lève. Des plans pour devenir croyant.

Vers l’ouest, quand je traverse Décarie, les visages changent. Ce sont des travailleurs immigrants, une dame Haïtienne et, plus loin, un monsieur d’Amérique latine. Dans mon esprit, il est Mexicain. Je pourrais croiser ce monsieur les yeux fermés et le reconnaître, ses souliers frottent le trottoir à chaque pas. Comme le son de pantoufles de papier dans le corridor d’un hôpital. Seule différence, la pantoufle frotte à plat sur le sol. Le monsieur, c’est le talon qui frotte. S’il battait la cadence, je dirais 140 à la minute. Des petits pas pour l’homme.

C’est curieux. Je marche avec de vieilles godasses dont j’ai enlevé les lacets et pourtant, elles ne trainent pas sur le trottoir. Ma mère disait traine-toi pas les pieds quand tu marches! Le monsieur cherche peut-être à se rassurer en écoutant ses chaussures frotter sur le trottoir. Il compte peut-être les pas avant de mourir.

Je connais ce monsieur. Je lui enseigne le français depuis quatre ans au cegep Maisonneuve. Très souvent, l’immigrant s’inscrit à des cours de français pour calmer sa peur. Il a peur de faire des erreurs, de ne pas être bien compris. Il a peur de voir les gens grimacer parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’il dit. Il peut croire avoir mal dit un mot, alors que c’est le grimaceux qui n’a rien compris. On s’attend d’un québécois qu’il dise ‘y s’en va’ ou ‘a veut pas’, mais quand c’est un mexicain à l’accent qui le dit, on grimace.

L’immigrant a peur d’être expulsé, surtout s’il n’a pas obtenu sa résidence. Celui-là ne connait pas le Vieux-Montréal. Il ne sait pas ce qu’est une calèche. Et s’il a la chance un jour de recevoir son passeport canadien, il ne saura pas où est la place Bonaventure, où il devra chanter l’Ô Canada.

Il ne sait pas, parce que toute sa vie est consacrée à son travail. Il est payé 11$ l’heure. Il n’a pas d’avantages sociaux. Lorsqu’il prend des vacances, elles ne sont pas payées. Et s’il se plaint, d’autres prendront sa place. Sa marche à lui est simple, de l’appartement au travail, et retour. C’est pour cela que je le croise à peu près au même endroit chaque matin. La seule chose qui change, c’est la couleur de son chandail. Le monsieur ne connaît ni la Beauce, ni le Saguenay, il ne prend jamais de vacances. Prendre des vacances est un état d’esprit. Celui de bien des immigrants, c’est la survie. Et il ne mange jamais chez Schwartz’s. Manger chez Schwartz’s, c’est faire partie de la société.

Le trottoir est une longue plage. Le ciment est en partie composé de sable, dont il reproduit la couleur. Plus loin, la marche sent les vacances quand j’entends le cri des goélands. Je sais donc que nous passons près du PFK et du McDo.

Voici Décarie hot dogs, le Montreal Pool Room de St-Laurent. La porte est ouverte. Ces gens-là sont des immigrants de plus longue date. Ils baragouinent leur français et laissent parler leurs hot dogs à leur place.

Je rentre chez moi par la petite rue Roy, comme si je venais de faire un tour du monde. Notre histoire ne se trouve pas dans les maisons, dans les rues ou sur les trottoirs. Elle se passe dans la tête des gens qui marchent.