jeudi 1 octobre 2015

Le style Foglia


Le COM-2650 se donnait au pavillon Read, angle St-Alexandre et de la Gauchetière, deux rues en haut de la brasserie chez Maurice. Je connaissais bien. L’été précédant l’ouverture de ce pavillon de l’UQAM, je venais livrer des matériaux de construction pour les électriciens du chantier, au volant d’un pickup International rouge. Mon père avait le contrat d’éclairer les futurs étudiants.

Sans le savoir, j’allais avoir une bonne idée de ce qu’est l’université: un endroit d’abord entièrement ouvert, dans lequel on monte des cloisons, pour contenir le savoir dans autant de locaux. Les silos universitaires sont en gyproc.

Pierre Foglia arrivait au cours avec Mauve, son vélo, pour le cours d’écriture journalistique. Il m’est resté deux choses de ce cours: Foglia parle exactement comme il écrit. Ses anecdotes, je les ai lues le samedi précédent ou j’allais les lire le samedi suivant. Premier enseignement: Foglia est la forme humaine de ses chroniques.

Foglia m’a aussi griffonné un héritage. Dans un de mes textes, un homme regarde un paysage. Foglia ajoute comme une vache regarde passer un train. Je n’ai jamais oublié cette phrase, elle résume à elle seule le cours de 45 heures. Si tu veux savoir comment pense un homme, passe par le regard de la vache. Ça tombe bien. Moi qui dessine comme un pied, je vais écrire pour dessiner.

Cette semaine, six journalistes du journal La Presse ont écrit un texte dans une grande chronique, Le style Foglia, suite à la parution du livre Foglia l’insolent, de Marc-François Bernier. Chacun chacune s’inspire d’une chronique ou d’une anecdote. Il n’est pas facile de décrire Foglia, une fenêtre ouverte dans un texte cadré. D’où ce détour par le COM-2650. Et le souvenir d’une chronique parmi 4300.

En 1995, au Tour de France, le cycliste italien Fabio Casartelli décède suite à une chute. Sa tête est allée donner sur une borne de ciment. Le lendemain, Foglia raconte que le peloton s’est mis en branle en bloc. Tous les cyclistes portent un maillot noir. Un des cyclistes s’envole au-dessus du peloton. C’est Casartelli.

Pour écrire, il faut une solitude et un rayon de lumière. L’auteur coupe un mot, ajoute une phrase, allonge un plan, change un accord, sable la pierre, doute, se lève, s’assoit, recommence. Il gosse jusqu’à l’écoeurement. Lorsqu’il ferme la lumière, le texte reste collé dans sa tête, comme une grotte de Lascaux. Il peut même le réveiller la nuit, il manque un bout, celui de la solitude et du rayon de lumière. S’il ne se lève pas pour l’écrire, il ne dormira plus. L’auteur lâche tout lorsque le texte respire de lui-même. Il vit, il ne lui appartient plus.

Pour lire Foglia, il faut coucher la page de papier sur la table et la regarder non pas de haut, mais par l’horizon. De la typographie émerge un long chemin avec des vallons, des vélos, des fromages, des truffes, de l’Italie, Bob, Richard Desjardins, des chats, Maxiiiime, le courrier du genou, des noms inconnus parce que vous ne connaissez rien au sport, beaucoup d’hommeries, rarement des femmeries.

Foglia dit d’Yves Boisvert qu’il est le chroniqueur des 20 prochaines années. Yves Boisvert dit de Foglia qu’il a créé un style journalistique. Il y a un truc. Foglia écrit des textes sur lesquels on ne peut tourner la page.






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