lundi 23 novembre 2015

Tissu




J'ai commencé à écrire, j'avais 12 ans. J'étais assis dans la cuisine, ma guitare sur les genoux, à découvrir ses notes. Deux de ces notes en alternance donnaient les premiers mots de L’eau vive, de Guy Béart, et s’arrêtaient à comme. Ma petite est comme. Pour la suite, je devais déposer un doigt sur une touche, ça ira à demain.

L’histoire a débuté à une table de mississipi, dans la salle St-Louis, au Collège Notre-Dame. Mon copain Laurent me demande veux-tu acheter une guitare? Dix piastres.

J'aurais pu dire non, j'ai dit oui. C'est comme Lucie Perreault. Elle me demande veux-tu qu'on sorte ensemble? Un fou dans une poche, une des belles filles de l’école, j'ai dit oui. Je la connaissais très peu. Je n’ai pas joué avec Lucie, ça a duré deux semaines. Avec la guitare, ça fait près de 50 ans.

Au début, les notes s'additionnent, indépendantes l’une de l’autre. Elles sont comme des spaghettis qui se tiennent debout sur le comptoir, dans leur contenant de plastique. Chaque tige est une pâte, et l’ensemble ne fait pas un plat. Les notes sont verticales, nous sommes loin du concerto.

À la longue, les doigts prennent confiance, ils se placent au bon endroit. Les mains se coordonnent, les accords s'enchainent. On entend de moins en moins le garçon qui laboure, et de plus en plus une mélodie. Les mains ont mémorisé une quantité de détails techniques, elles savent où elle vont.

Quelque chose de transversal s’ajoute au jeu. Les notes sont liées. Elles sont jouées en fonction des précédentes et des suivantes. Le début annonce la fin, c'est le rythme. Il lie les éléments verticaux en ajoutant une couche horizontale. L’ensemble prend la forme d’un tissu.

L’origine du mot texte est tissu, écrit le sémiologue français Roland Barthes, dans un article de 1972, paru dans l'Encyclopédie Universalis. J’ai appris ça la semaine passée.

J'aimais bien Roland Barthes. Le genre de prof avec qui tu as envie de prendre un pot ou quatre. Un intellectuel qui avait l’air sympathique. Il me donnait l’impression de savoir à quoi ressemblait sa mère. Ce n’était pas le cas de Sartre ou de Foucault. Par contre, je n'ai jamais compris de quoi à la sémiologie, trop rationnelle, loin de l'essence du mot.

L'idée du tissu est particulièrement belle et brillante. C’est un système à double entrée. Des fils verticaux. Des fils horizontaux.

Le Mali est passé maître en matière de tissus. Ils sont tout simplement magnifiques, avec leurs motifs et même, sans. Comme si ce n’était pas assez, les teinturières maliennes y appliquent des couleurs. On en parle dans toute l’Afrique et aussi loin que dans un Mac mini à Montréal. Les hommes et les femmes du Mali sont magnifiques. La couleur du tissu, c’est le talent.

Est-ce le tissu qui fait la femme ou la femme qui fait le tissu ? Chaque fois que mes filles me demandent si leur ‘outfit’ est beau, je réponds invariablement c’est ma fille qui est belle. De même, c’est le guitariste qui fait le texte. Lorsqu’il imprime son rythme et son style à la musique, il lui donne sa couleur.

J’ai compris l’écriture dans la trentaine. A force de gosser des textes publicitaires, j’ai commencé à en écrire d’autres, et je me suis trouvé en terrain connu. Je suis passé par les mêmes étapes dans le texte écrit que dans la musique. Les mots, les phrases, le tissu, la couleur.

Un texte bien écrit se lit comme de la musique. Une fois sur papier, cela s’appelle un imprimé.






samedi 7 novembre 2015

L'arbre à brume




James Brady a pris une photo. C'est un arbre dans la brume. James dit que la photo a été prise en Gaspésie. Je n’en suis pas certain. Cette brume est celle de mon enfance. Et en matière de brume, un enfant ne se trompe pas.

La brume, c'est la première chose que voit l'arbre en se réveillant le matin. C'est pour cela que celle de James est dans des tons de vert. Cette brume chlorophylle a l'air confortable comme une robe de chambre. On peut penser que la photo a été prise par un adulte. Je crois plutôt qu’elle a été prise par un arbre qui se réveille. Ce pourrait être un autoportrait.

Notre chalet à La Conception était situé dans la vallée de la Rouge, un vrai spot à brume. Le chalet avait la forme d'un T. Dans la barre du T, à gauche, c'est la cuisine, avec une table en pin pour 12 personnes. À droite, ce sont quatre chambres à coucher et, au fond, la chambre des maîtres.

Dans la barre verticale, il y a au milieu, à droite, la salle de bains avec, en face, la chambre des garçons, quatre lits superposés. Au bout de la barre, le grand salon tout vitré, avec un foyer en pierre des champs imaginé par mon père.

Ainsi, quand j'étais dans la cuisine, en haut à gauche, il arrivait que je ne voie pas le bout du pied du T, tellement il y avait de la brume. À ce moment, la longueur du chalet devenait infinie. Elle s'enfonçait dans la brume, on n'en voyait pas le bout. La meilleure façon de visiter la brume était de courir au bout du salon.

Il arrivait que nous partions en auto avec papa, tôt le matin. Je voyais à peine les lignes blanches peintes sur la route, devant le capot. Mais ce n'était pas angoissant, papa conduisait.

C'est le secret de la brume. Alors qu'on croit ne rien y voir, elle offre l'infini. La brume est la porte de l'imagination.

Dans celle de James, on devine la forme de l'arbre et de quelques débris. Je soupçonne James de vouloir nous montrer un arbre nommé désir. Pour l'enfant, c'est un arbre à brume. Dans la vie, l’imagination se manifeste avant le désir.

James Brady enseigne le cinéma au collège Rosemont. Mais sa bulle, c’est la photo. À voir ses photos, vous pourriez penser que James est un peintre frustré et vous auriez raison. Il peint ses photos comme un peintre sa toile, souvent avec des surimpressions. Parfois, il sait exactement où le cliché va le mener. D’autres fois, son intuition fait le travail à sa place.

Il y a une magie dans cet arbre: vous le touchez https://nicephart.wordpress.com/ et il apparaît.