dimanche 21 février 2016

Mais la photo est belle





Dans la nuit, un homme fume une cigarette. Il porte à la tête une lampe de mineur, elle occupe la place de la lune. Son regard respire le drame. Il a l’air tellement dans sa bulle, je ne sais pas s’il voit sa cigarette. La légende de la photo dit qu’il est mineur à Bani et que les conditions sont difficiles.

Je ne savais pas que Bani est une ville au nord-est du Burkina Faso. Mais je savais que cet homme fait face à des conditions difficiles, car il est Noir. Une vie difficile pour un Noir en Afrique, c’est un pléonasme. Il ne faut quand même pas croire que les mineurs noirs d’Afrique vont travailler en Cadillac. Mais la photo est belle. Elle a remporté un prix au World Press Photo 2016.

Dire d’une photo de mineur miséreux qu’elle est belle, c’est lire ce texte et souligner la beauté de la typo. Le texte raconte les dures conditions de vie dans les mines de Bani, au Burkina Faso. Commentaire du lecteur : wow, du Arial 12 points.

La photo de la misère est une photo, pas la misère. Celles que j’ai vues du World Press Photo 2016 cadrent la misère humaine, la photo est belle.

J’ai déjà demandé à mon ami Robin Simard es-tu capable de faire une pas belle photo? Il n’a pas réussi à me répondre. Robin est photographe professionnel. Son travail consiste à magnifier les choses, à leur donner le sens de son imaginaire. Robin a un très bel imaginaire. Il est incapable de faire une pas belle photo.

Il y a plusieurs années, avec mon ami concepteur Cédric Loth, nous avons voulu tourner un spot de pub. Devant un téléviseur, la clientèle du restaurant portugais Doval regarde les débuts de la télésérie Blanche. Au fond, derrière son comptoir, le propriétaire du restaurant regarde aussi la télé, accompagné de son gallon de vin rouge. Nous voulions le vrai monsieur, ses cheveux bouclés, sa moustache, avec la vraie clientèle, les vraies bedaines, le vrai décor et le vrai gallon. Nous n’avons jamais réussi. Pas à cause de règlements syndicaux, à cause de l’image. Les publicitaires ne savent pas penser autrement que par un prisme magnifiant. Elle est belle la pub, presqu’aussi belle que la typo. La vedette de la photo n’est pas le mineur mais le photographe.

Il y a beaucoup de nous dans cette photo, la misère des autres sur papier glacé. Mais nous ne sommes pas des mineurs et nous ne sommes pas Noirs.






dimanche 14 février 2016

Un beau plan comme celui-là




Ça se passe à la télé. Quinze grues du port de Londres sont alignées le long de la Tamise. Elles sont en deuil. Winston Churchill, homme politique, cigare, scotch, fossoyeur d’Hitler, peintre, écrivain, maçon, visionnaire de paix et père de famille, vient de mourir. Lorsque le bateau transportant le cercueil passe devant le port, chaque grue incline sa flèche, un coup de chapeau, de longs cous de girafes au ralenti. Je n’ai jamais vu un beau plan comme celui-là.

Cette scène arrive en ouverture d’un documentaire de deux heures sur le monsieur, Churchill, un géant dans le siècle. Les autres plans n’arriveront pas à faire oublier les grues, pas même celui du château de 320 pièces, où Churchill est né. J’ai vu le documentaire deux fois, pour être certain que j’avais bien compris ce que j’avais vu. En réalité, je l’ai vu trois fois.

Durant 50 ans, Churchill a écrit l’histoire de l’Angleterre. Il s’est parfois trompé. Il a eu raison juste au bon moment quand, en 1940, il a dit à Hitler d’aller se faire voir. L’autre a perdu les pédales et attaqué Londres. C’était le blitz. Churchill a fini par casser le nazi, en chantant avant le temps with a little help from my friends.

Churchill s’est probablement dit je vais planter ce bâtard. Et il l’a planté. C’est parfois simple, une guerre. Tous les Britanniques, incluant le roi, l’ont laissé aller. Il va le planter, qu’ils se disaient entre eux. Ils savaient que, sans Churchill, Hitler sortirait ses canines.

C’est une question de vision. Lorsque Churchill voyait le Kaiser Guillaume II augmenter ses effectifs militaires, il voyait la guerre. Lorsqu’Hitler signait des accords avec des pays d’Europe, Churchill voyait les invasions. Lorsqu’il a doté l’Angleterre de forces marines, terrestres et navales, Churchill voyait des muscles.

La vision, c’est comme René et Céline. Il a dit tu seras la plus grande. Elle a dit oui et ils l’ont fait. La détermination mesure cinq mots. Elle peut prendre des années avant de se réaliser.

La vision, c’est aussi Albert Einstein. En 1915, il a vu des ondes gravitationnelles dans l’espace, suite à la rencontre de trous noirs. Il aura fallu 100 ans pour que la science voie enfin ce qu’il avait vu.

Le visionnaire est une âme d’artiste, championne de quelque chose. Churchill champion de la guerre, Céline championne de la voix, René champion de Céline, Einstein champion de l’univers.

Le narrateur dit que Churchill a eu quatre passions : le danger, le cigare, l’alcool et la littérature. Le danger, certainement. Churchill faisait la guerre pour vaincre. Il a promis aux Anglais du sang, des larmes, du labeur et de la sueur. Ils les ont eus.

Ça a l’air facile à dire après coup, mais il fallait y penser et surtout, le faire. Pour combattre la dépression, Churchill peignait des tableaux sur des champs de bataille. Ce n’est pas une apologie de la guerre, mais du regard et du geste.

Après la guerre, Churchill a vu un rideau de fer qui n’existait pas encore. Il a aussi parlé d’un marché unique d’Europe qui n’existait pas encore. Certains membres du parlement ont dû se pencher sous la table pour ramasser leurs esprits (merci Les Cyniques).

Lorsqu’il regarde une montagne, le visionnaire voit le temps. Pour écrire l’histoire, Churchill a vu la guerre. Ensuite, il a vu la paix, et l’an 2000.

Churchill est en maillot de bain. Il va se laisser aller dans une glissade d’eau. L’air sérieux du gars qui s’en va à la routine, il glisse, la tête en bas.

La grandeur, ce ne sont pas des salves de coups de canon, ou des avions de chasse, le jour de ton enterrement. Ça, c'est du folklore. La grandeur, ce sont des grues qui laissent aller leur peine à ton passage. La grandeur vient toujours d'où on ne l'attend pas.






vendredi 12 février 2016

Le choix du président




Rona a été vendu. Pour plusieurs, le Québec vient de s’en faire passer une. En fait, la solution réside dans le choix du président.

Comme le Québec compte 53% d’analphabètes fonctionnels, il y a une « chance » sur deux que l’actuel président de Rona ne sache pas lire. Par contre, il sait compter. Des analphabètes millionnaires, ça existe, j’en connais.

Le président de Rona occupe ce poste depuis moins de trois ans. Il quittera ses fonctions en ayant empoché 20 millions de dollars. Ce montant ne comprend pas son salaire ni les autres avantages collés aux billets de banque.

En principe, ce président doit avoir dirigé la négociation en pensant 1) au bien des actionnaires, 2) des employés, 3) des fournisseurs et 4) de la société en général. Comme le disait si bien le groupe Les Cyniques, nous voulons votre bien et nous l’aurons.

Je ne suis pas dans la tête du monsieur, mais je suppose que l’équation s’est vite alignée : 20 millions dans mes poches, c’est nécessairement bon pour la société québécoise. Sur sa photo de l’onglet Comité de direction, à rona.ca, le monsieur a un grand sourire. On ne dit pas si la photo a été prise avant ou après la transaction. Le mot profit s’épèle en chiffres. On ne sait donc jamais vraiment combien vaut un sourire.

Une pièce de 1 dollar pèse six virgule quatre-vingt-douze grammes. Si on multiplie par trois virgule deux milliards de dollars, cela donne vingt-deux-millions-cent-quarante-quatre-mille kilos de plus dans l’économie québécoise. Voilà le poids de cinq cents magasins et de vingt-deux-mille employés. C’est surtout deux fois la valeur boursière de Rona. Mais l’Histoire ne s’est jamais écrite avec des chiffres.

Il y a un remède à ce genre d’hémorragie.

Je suis président de Rona. Je dis aux Américains je suis un monsieur de lettres, payez-moi en lettres. Rona recevra ainsi trois virgule deux milliards de lettres. J’y ajouterai même les vingt millions miennes. L’avantage des lettres, c’est que leur cours est au pair. Aussi, elles voyagent léger. Je ferai livrer toutes ces lettres, accents inclus, au Parlement, à Québec, et je les redistribuerai à ces 53% de concitoyens en manque de lettres. C’est comme si nous faisions le plein de cotisations REER.

Une fois tout le monde lettré, nous serons tous plus riches. Nous rayonnerons dans tous les secteurs. La générosité des lettres est plus redoutable que celle des chiffres, car elle meuble les esprits.