D’où viennent les mots? Des grottes de Lascaux. Nous
avons tous en notre intérieur un endroit où siègent nos mots. Ce sont des impressions,
des intuitions, des flous, rarement des phrases complètes. Les flous prennent
la forme de lettres ou d’images à l’étage supérieur, entre les oreilles.
Les grottes de Lascaux sont situées dans le corps de
la France. Des dessins écrits sur les parois, ou l’art pariétal. Je ne sais pas
si l’humanité a produit quelque chose de plus beau. Les grottes de Lascaux sont
probablement l’endroit où la Terre puise ses mots lorsqu’elle les cherche.
En Occident, le texte est un parcours de gauche à droite
et de haut en bas. Au fil du récit, le lecteur crée ses images à partir des
lettres. Les mots ont beau être imprimés, chaque sensibilité voit ses images.
On aborde une image au contraire des lettres. L’image
crée une impression. J’aime ça, je n’aime pas ça, c’est donc ben bizarre. Je ne
sais pas pourquoi encore, mais ça s’en vient. Il y a quelque chose qui me plait
dans cette photo, la brume, les couleurs. En fait, les éléments ont l’air
fragiles, mais l’ensemble est très bien campé. Voilà. Le trajet peut prendre
cinq minutes ou trois mois.
Pour qu’il y ait conversation, pour voir sur la toile que
le philosophe médite dans une maison, il faut bien que ces mots existent dans le
répertoire de Rembrandt et dans le mien.
Dans mon parcours, l’école a toujours porté son attention
uniquement sur les mots écrits, jamais sur les mots dessinés. La grammaire
française est une dictature des lettres.
Curieusement, l’école ne m’a jamais appris à écrire. Elle
m’a montré à organiser une phrase, sujet, verbe, complément. Elle m’a fait
conjuguer les verbes, accorder les participes et adjectifs, mais à écrire, à aimer
l’écriture, à développer un style, jamais. L’école ne m’a jamais montré autre
chose que de me sentir ordinaire.
Le premier prof qui m’a éveillé, c’est le journaliste
Pierre Foglia, dans un cours d’écriture journalistique, COM 2650, à l’UQAM. Il m’a
enseigné la métaphore de l’ennui, une vache qui regarde passer un train. Il y a
dans cette phrase tout un enseignement. Foglia a peint un dessin sur le mur de
ma grotte. Il m’a appris à écrire des dessins.
Ecrire, c’est réfléchir, relire, réécrire, recommencer,
pomme x, pomme v, gosser jusqu’à ce que la peau du morse soit lisse comme l’art
inuit. Un bon texte, c’est le jeu de guitare de Jimi Hendrix, Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia
Marquez et la lumière de Rembrandt.
L’écrivain Émile Zola a écrit J’accuse pour torpiller l’hypocrisie de l’armée française envers le
capitaine Dreyfus. Le peintre Pablo Picasso a exécré les fascistes allemands et
italiens avec Guernica, après le
bombardement de la ville du même nom. Zola et Picasso sont des descendants de
Lascaux.
Si je revoyais mes professeurs de l’école primaire, je
leur suggèrerais d’enseigner la perspective des mots. Je leur dirais d’ouvrir l’imaginaire
des ti-culs, le moteur de l’instruction. Mais les profs âgés de 30 ans il y a
50 ans n'enseignent plus à des enfants de 10 ans.
Ouvrez votre livre de mathématiques à la page 32. Dans le
train pour Sainte-Adèle, y avait rien qu’un passager, c’était le conducteur et
puis le chauffeur et il voulait débarquer. Dans le bout de Mont-Laurier, paraît
qu’on a vu le train filer dans le firmament la nuit passée, tchou, tchou,
tchou, tchou. De quel côté se dirige la fumée ?