lundi 30 janvier 2017

Ce soir, en manchettes




Ce soir, au lendemain des événements de Québec, je me suis réfugié sur la chaîne TV5, une des rares à ne pas succomber à la tentation du voyeurisme.

Le documentaire raconte des histoires méconnues de la Résistance française contre les Allemands, en 1944 et 1945.

En 1944, le général de Gaulle a besoin de la Résistance pour montrer que la Libération est le fait des Français, appuyés par les Alliés. Autrement, la France pourrait être perçue comme un pays de perdants et passer sous le joug des Américains.

Ce soir, sur les ondes de Radio-Canada et de RDI, il est à peu près impossible d'éviter les évènements de Québec. Ils occupent l'écran, parfois simultanément, de 17h à 1h du matin.

Et encore, je n'ai pas vu la programmation avant 17h.

De 17h à 19h, émission spéciale du Téléjournal Grand Montréal 18h sur les deux chaines.
De 19h à 21h, deux heures sur le sujet à 24/60, sur RDI.
De 21h à 22h, le Téléjournal à RDI.
De 22h à 23h, le Téléjournal à Radio-Canada.
De 23h à 1h, reprise de 24/60, à RDI.

Si vous ne savez pas ce que sont les événements de Québec, c'est que vous avez dormi depuis dimanche soir et que vous dormez encore.

Ce tueur me fait vomir. Il a gagné, sa photo est partout. Même le pape François a réagi. Superstar. Merci les médias.

Les médias, Radio-Canada en tête, me lèvent le cœur. Le deuil est un spectacle en continu.

J'ai compris la nouvelle. En 10 minutes, j'en ai fait le tour. Je n'ai pas besoin de me la faire tartiner toute la soirée, et ce n'est pas fini. Ces morts sont des pères, comme moi. Je vais m’occuper moi-même de mon deuil.

Ce soir, en manchettes, Radio-Canada passe une grande partie de la soirée à célébrer la victoire de la bêtise sur l'intelligence.

J'ai préféré célébrer l'intelligence de la Résistance sur la bêtise de la guerre.




mardi 10 janvier 2017

L'imaginaire autonome





Romain Chevrier est directeur de l’école primaire Jean-Grou, à St-Laurent. Un matin, il appelle ma mère. Votre fils Luc se plaint de maux de ventre. Ça lui arrive à l’occasion, surtout quand il va à l’école. Maman n’a probablement pas dit la fin de cette phrase, mais c’est ce qui se passait. Et que fait-il présentement? Il lit un Tintin.

Une anecdote peut définir une époque.

Dans les années 60, l’imaginaire en menait large. Tout l’espace et le temps étaient libres. Après l’école, les soirs et fins de semaine, nous allions jouer. À partir du 24 juin, nous avions deux mois et demi pour créer notre été. Nous avions l’imaginaire autonome.

Quand je partais en vélo avec mon cousin Louis, nous ne pouvions pas emmener mon jeune frère, nous allons au bout du monde, c’est trop dangereux. Sur la galerie devant la maison, nos bâtons de hockey devenaient des mitraillettes, pour tirer les avions qui allaient atterrir à Dorval.

Durant ces combats épiques, Louis s’appelait Jo, prononcé Djo, et je m’appelais Jo, prononcé Djo. On y va, Jo? Ok, Jo! Le bloc de ciment près de l’entrée était notre hélicoptère. Pour l’atteindre, il fallait courir entre les tirs ennemis.

À 4h, il y avait Bobino à Radio-Canada. À 4h30, maman nous mettait dehors. Douze mois par année, allez jouer dehors. Et si, une fois mon manteau de neige et mes jambières enfilés, il me venait l’idée de faire pipi, tu pisseras dans tes culottes.

L’école n’était pas un terreau à imaginaire. Je le réalise en écrivant ce mot, plus de 50 ans plus tard. J’avais mal au ventre de me retrouver dans un univers fermé.

L’alphabet, les lettres attachées, les dictées, les verbes du 1er, 2ème et 3ème groupe, 7 X 8 = 56, 9 X 6 = 54. Qui est Dieu? Dieu est infiniment parfait. Rien d’excitant.

En 6ème année, il fallait conjuguer le verbe tenir au passé simple. Madame, Luc Panneton a écrit je tenai. Je vois encore mademoiselle Méthot foncer vers moi comme un train pour me sacrer une claque. Elle était la terreur de l’école.

Au primaire et au secondaire, mes amis s’appelaient Hergé, Goscinny, Bobino, Franquin, Edgar Rice Burroughs, le monde de Marcel Dubé, Jean Béliveau, Bobby Hull, John, Paul, George et Ringo, Gotlib, Albert Camus, Jimi Hendrix. Je ne les ai pas connus à l’école.



Paul Campana enseignait la psycho au cegep du Collège Français. Ses cours passaient par la philo, le karaté, le jazz, l’astronomie, l’architecture, les mathématiques. J’étais vissé à ma chaise. Pour la première fois, j’entendais un prof ouvrir une fenêtre à la fin de chaque phrase.

L’imaginaire faisait son entrée à l’école.

J’ai empilé huit cours de psycho dans mon diplôme collégial. Une fois à l’UQAM, je retournais voir monsieur Campana pour lui montrer mes travaux de psycho.

J’ai gardé un seul souvenir de mon seul cours de psycho à l’UQAM.

Gérard va débuter son cours. Il est 9h. Mais avant, un petit mot.
- Je voulais vous dire que je me sens bien avec vous.

Petit silence fabuleux.

Un silence fabuleux est un moment de flottement pendant lequel il se passe la même chose dans toutes les têtes, mais en silence. Chacun chacune se demande s’il a bien compris, se dit je sens confusément quelque chose. Dans les histoires du cowboy Lucky Luke, le chien idiot Rantanplan se dit parfois la même chose. Mais le silence fabuleux n’est pas idiot.

Gérard débute le cours.

Une main se lève.
- Qu’est-ce que tu veux dire, Gérard?

- J’ai rêvé à vous cette nuit. Je me sentais bien. Je voulais vous le dire.

Bienvenue dans les années 80. On met le vécu sur la table.

- Mais pourquoi tu nous dis ça?

- Je trouvais important de le partager avec vous.

- Pis nous, on fait quoi avec ça, Gérard?

Ça a viré en chicane. Plus Gérard se justifiait, plus il se calait et plus le groupe pompait. Avec mon ami Jean-Pierre, il nous arrive de nous remémorer cette chose. Chaque fois, nous sommes pliés en deux.

Monsieur Campana a passé sa vie à ouvrir des fenêtres. Gérard a passé la sienne à chercher les siennes.

Bernard Schiele savait ouvrir une fenêtre. À mon dernier cours de bac, il nous suggère de lire, de préférence sur une plage, Surveiller et punir, de Michel Foucault. Ce que je fis. Sur cette plage, la Terre a commencé à tourner autour du soleil.

La seule chose qui n’ait pas changé depuis mon enfance, c’est le temps. Nous en avons autant qu’avant.

Ce qui a changé, c’est notre rapport à lui. Nous prenons toutes sortes de prétextes pour répondre à toutes sortes de sollicitations et à nous dire occupés. Ma fille Camille dit qu’à l’université, les étudiants ne se parlent pas. Chacun dans sa bulle.

Le temps n’a pas changé et l’imaginaire est toujours à la même place. Tu prends une bulle et tu ouvres la fenêtre.




dimanche 8 janvier 2017

La valse des chevaux




Il y a des rythmes dont je me dis qu’il faut être heureux pour les jouer. À moins que ce ne soit le contraire, certains rythmes rendent heureux. Celui de Vénus, d’Alain Bashung, est de ceux-là. Un seul rythme, léger, du début à la fin. Lààà, un dard venimeux, lààà, un socle trompeur.

Le son du banjo domine. Le banjo est un instrument à quatre cordes, dont on ne sait jamais s’il rigole ou pas. Un son éphémère, rond comme la tristesse, une goutte de pluie. En l’égoudant, on bourrait aussi groire que le banjo a le dez bouché, gomme s’il avait le rhube.

Le son du banjo devance ceux du violoncelle et de la basse. Il donne le ton et le lieu, il était une fois dans l’Ouest.

Pour donner de l’ampleur à un rythme régulier comme celui-là, vous ajoutez des instruments. Cela donne un effet de crescendo, Le boléro, de Ravel, mais version country, à la Bashung.

Un crescendo comme celui du Bolero fonctionne comme si on montait le volume.

Ajouter des instruments sur un rythme martelé, c’est comme inviter de nouveaux compagnons. L’effet n’est pas le même. Le crescendo est vertical, il envahit. Le compagnonnage est horizontal, il étreint.

En musique, tout se passe très vite. La note qui suit donne le rythme à la précédente. Passons au hyper-ralenti. Le moment entre les deux notes devient un flottement, une jouissance de l'entre-deux. Comme si la musique était une forme de masochisme heureux. Ce sera comme cela entre la suivante et l’autre suivante, et ainsi de suite jusqu’à la fin. Une bonne pièce de musique ne compte pas une note de trop et il n’en manque pas une.

Toutes choses avec lesquelles il était bon d’aller. J’entends des sons de sabots, même si Bashung n’en a pas mis. Ils prolongent naturellement le banjo. Je vois même le cheval. Cactus, sable et scorpion. C’est la force de l’écriture et le début du génie de Bashung, il nous fait entendre ce qu’il n’a pas écrit.

Un jour, les Beatles ont imaginé l’histoire d’un groupe en tournée, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band. Lorsqu’un journaliste a dit à John Lennon qu’ils avaient écrit le premier album « concept », Lennon a répondu je ne sais pas de quoi vous parlez.

Il dit quoi, le texte de Sgt. Pepper's? Tout dépend à quel bout on se place. L’un écrit l’histoire d’un groupe en tournée. L’autre entend celle du premier disque concept. L’auteur a beau donner le sens qu’il voudra, le lecteur en retire ce qu’il veut. Le succès des Beatles vient un peu des musiciens, et beaucoup du public qui a viré fou.

Le charme du texte vient de ce qu’il ne dit pas. L’auteur exprime ses idées par les mots et le lecteur cherche un sens dans ce qu’il trouvera autour. Je suis charmé non pas tant par les mots, mais par les images qu’ils me font évoquer.

Ajoute un banjo et valsent les chevaux.





lundi 2 janvier 2017

Joke de gars





- On. Le mec s’appelle On. Il a un phare. Le phare à On.

À Alexandrie, l’architecte égyptien Numérobis interroge les yeux de la jeune femme. Elle regarde devant elle, comme s’il n’y avait personne. Numérobis fait partie du vide.

- Pharaon, le phare-à-On.

Nous sommes devant une scène d’anthologie de la relation universelle entre l’Homme et la Femme : une joke de gars.

Pour Numérobis, la blague est mécanique. On, phare, phare à On. Du beau, du bon, Dubonnet. Tu branches la batterie, tu actionnes le démarreur et vroum, ça marche. Pharaon, et on rit fort.

Connais-tu la joke du gars qui marche et qui s’enfarge? Voilà.
La différence entre un voilier de deux mats et un voilier de trois mats, c’est un mat.
Un jeune de 12 ans hésiterait avant de rire.

L’humanité est un trou noir, composé de drôle et de vide.

Numérobis ne séduira probablement pas la belle, à cette fête de l’inauguration du palais de Cléopâtre, dans le film Astérix et Obélix : mission Cléopâtre.

La Femme détourne les yeux. Elle cherche à combler le vide de son regard. Elle cherche la sortie de secours. L’humanité existe.

Numérobis est un gentil monsieur. Dans le livre Astérix et Cléopâtre, il a la bouille ronde, sympathique, comme le nez. Le regard est celui d’un monsieur sensible, pas loin du nono. Sa coiffe lui donne un air de sphinx.

On dit de lui qu’il est le meilleur architecte d’Alexandrie. On dit aussi de lui qu’il est allergique aux crocodiles, mêmes sacrés, et que certains de ses édifices ne s’écroulent pas.

La bouille de Numérobis est l’œuvre du dessinateur Albert Uderzo. Ce qu’on dit est écrit par René Goscinny, inénarrable scénariste de bandes dessinées.

L’allure générale des bâtisses de Numérobis ne fait pas école. La somme des angles des cadres de portes est souvent supérieure à 360 degrés, ce qui est rigoureusement interdit en mathématiques. C’est comme si un cowboy tirait plus vite que son ombre. Ou si un cheval jouait aux échecs.

Dans la vraie vie, on appelle les édifices de Numérobis de l’incompétence, ou la commission Charbonneau. Dans une bande dessinée, on appelle cela un gag.

Dans le film Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, Djamel Debbouze joue le rôle de Numérobis. Après bien des péripéties, Numérobis réussit à construire un palais en l’honneur de Cléopâtre, ce qui ne fait pas l’affaire de Jules César.

Ce film est le récit débridé d’une quantité inénarrable de gags. Numérobis est le grand architecte de la drôlerie, ce qui ne fait pas l’affaire des romains. Le gag est souvent plus drôle qu’il ne fait pas l’affaire de l’autre. Lorsque l’autre est nous, cela s’appelle le dindon de la farce.

Je n’ai pas vu ce film depuis quelques années. Il dormait au fond de mon Antiquité, un espace-temps plus bas. Il est remonté hier.







J’écris un sms à mon fils Louis Karim.
- J’ai rdv demain pour changer le phare de l’auto.
- Le phare à On?