mardi 25 avril 2017

Chagall





Au Musée des Beaux-Arts de Montréal, une des premières toiles de l’exposition montre trois violonistes gauchers. Ils s'appellent Gilles, Luc et Paul, les trois fils gauchers de ma mère. Chagall a peint cette toile pour nous. Je m’y vois très bien avec mes frères. Trois gauchers sur six enfants, c'est une bonne moyenne.

La nature humaine est imparable lorsque vient le temps de tout ramener à elle.

Je visiterai la suite de cette exposition au Musée des Beaux-Arts en me demandant si le gaucher fait partie du fantasme russe. Ou l’inverse : un fantasme peut-il être gaucher ?

Un des fantasmes de Chagall n’est pas tant le gaucher que le violon est sa muse.

La première dimension de Chagall, ce sont les courbes. Elles donnent une impression de flottement, comme un enfant dans le sein de sa mère.

Philémon est probablement un Chagall. Fils de Fred, Philémon est un jeune homme planant, aux cheveux hirsutes noirs et au chandail rayé bleu et blanc, à la Jean-Paul Gaultier. D’une bande dessinée à l’autre, Philémon rêve de trouver le passage pour se rendre sur le A de l’océan Atlantique. Un autre qui flotte dans le sein de sa mère.

Chagall avait 46 ans lorsque Fred est né. La filiation est évidente.

Les courbes de Chagall emplissent l'espace comme un cercle tourne rond. La dernière fois que j'ai ressenti une telle sensation, c'est en lisant Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez. Ce livre laisse l'impression d’un vertige en spirale. La spirale de Marquez et les courbes de Chagall sont curieusement issues d’un support plat, le papier et la toile.

Le vertige est un sentiment d'apesanteur à l'intérieur de nous-mêmes. L'intérieur cherche à flotter dans un corps fixe. Le vertige est un décalage.

La deuxième dimension de Chagall est en réalité la troisième. Du bout des doigts, je vais chercher dans la toile la robe d’une femme et la dépose sur un mannequin derrière moi. Me voilà devant un personnage de pièce de théâtre ou de carnaval, en trois dimensions. Je ne suis pas le seul à avoir eu cette idée. Une quinzaine de personnages entourent le mien. Sur une toile ou un plancher, Chagall est de la même dimension.

Prenez Tintin, sortez-le du cadre, déposez-le sur le plancher. La magie reste dans le cadre. Le dessin de Tintin est l'antithèse de celui de Chagall. Hors du papier, il est ordinaire. Son adaptation au cinéma est du passé. Les figurines en 3D manquent de magie. Même l'adaptation en dessins animés du cinéaste Stephen Spielberg n'a pas passé l'épreuve. La magie de Tintin, c’est une ligne claire sur du plat.

Je suis retourné voir l’exposition de Chagall hier. Je voulais savoir le titre de la toile des trois violonistes gauchers, Les Arlequins. Ils ne sont pas trois gauchers, mais deux.

Cette exposition est magnifique. Je vois plus de choses dans Chagall que ce qu’il a peint.

Dans Le cirque comme métaphore du monde, la lune joue du violon. Dans La danse, le Minotaure joue du violon. Dans Fidelio, la harpiste est gauchère. Comment peut-on dire d’une harpiste qu’elle est gauchère? La harpe est comme un piano, il n’y a qu’une position pour jouer. La dame tient sa harpe comme s'il s'agissait d'un violon.

Philémon est heureux. Il a enfin réussi à débarquer sur le A de l’océan Atlantique. Zut, c’est le deuxième, il cherchait le premier.

La prochaine fois, cher hirsute, cherche le A de Chagall. Il y en a deux, tu risques d’en voir trois.





1 commentaire:

  1. Luc, en lisant le titre "Chagall" je me suis dit "Non pas possible, lui aussi?!" - Oui, lui aussi. En même temps, après le magma cela coule de source. J'ai été au MBAM voir Chagall, et je n'en suis pas ressorti. Coincé entre le portrait du Père, celui du jeune frère parti trop tôt, et un peu prisonnier de la Chambre jaune et de la si écarlate tribu de Zebulon. En outre, je ne suis pas gaucher, c'était un peu foutu dès le départ.

    Superbe texte Luc. Avec lui, je signe pour une peine de 100 ans de solitude. Incompressible. Alléluia.

    Ludewic

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