samedi 17 juin 2017

Parler aux enfants




Mon ami Ludewic vomit. Quand il était petit, ses professeurs lui enseignaient qu’il appartenait à un peuple de cancres et sans histoire.

J’ai eu les mêmes professeurs. La différence, c’est qu’ils ne me traitaient pas de cancre. À la place, ils agissaient comme si j’en étais un. Récitez par cœur qui est dieu, dieu est un esprit, où est dieu, dieu est partout.

Là où la couleuvre ne passait pas, c’est lorsqu’ils me demandaient de croire à la sainte trinité, trois dieux en un. Pourquoi? Parce que. Cela n’entrait pas dans ma petite tête de huit ans. Aussi, parce que n’a jamais été une réponse à la maison. L’éducation prime sur l’instruction.

Je ne rentrais pas chez moi blessé, comme mon ami Ludewic. Ma punition a été de trouver le temps long toutes ces années.

Lorsque j’entendais des inepties, je regardais ailleurs. Le rêve est toujours dehors. Lorsque mon ami Ludewic regardait ailleurs, il voyait flou. La peine oblige le regard à rester à l’intérieur. Alors un jour, on vomit.

L’instruction est un cocon. C’est un moment privilégié où les adultes racontent la vie des grands aux enfants.

Les professeurs de mon ami Ludewic et les miens croyaient que les bonnes histoires étaient contenues dans les livres. Alors, ils les racontaient sans égard à ce qu’ils disaient.

Ils n’ont jamais pensé qu’eux aussi pouvaient conter des histoires à faire rêver. L’ignorance débute chez l’enseignant.

Lorsque l’enfant voit le rêve parler debout devant lui, il se sent privilégié. Bien sûr, il ne peut tout comprendre. À 8 ans, il n’y a pas de place dans cette tête et ce corps trop petits pour contenir toute la vie. Par contre, il est assez grand pour emporter chez lui ce sentiment de plénitude. À 8 ans, se sentir être quelqu’un dure toute une vie.

Le bon professeur garde le livre d’histoire fermé.

Il y a deux façons de nourrir l’esprit : on le gave ou on l’assoiffe. Le gaver entraine un trop plein et fait vomir, surtout si on ne prend pas soin à la qualité des aliments.

Lui donner soif crée un mouvement vers l’avant. La soif est la sœur de la curiosité. Il n’y a pas de remède.

Notre société est traversée par une crise d’obésité. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la génération plus jeune risque de mourir avant celle de ses parents. L’ignorance crasse laisse la place à l’ignorance grasse.

Cette crise de l’obésité n’est qu’une manifestation physique d’une culture de l’ignorance. La famine de l’esprit et l’obésité du corps. Ce qui manque aux deux, c’est le temps de la réflexion.

Si le peuple de Ludewic n’avait pas existé, il n’y aurait pas d’humanité.

Vomir fait du bien au regard. Les nuages passent du noir au blanc. Le vide ouvre une porte au plein. Le rapport aux mots change, je peux parler aux enfants.

Enseigner rime avec aimer.