Bonjour monsieur Walker,
Vous avez écrit et réalisé un très beau film, Québec my country mon pays. Au début, je pensais que vous exagériez
avec vos commentaires. À la longue, j’ai compris que pas tant que ça.
Ce qui nous éloigne, les francos et les anglos, c'est un mensonge. Dire que
les Français et les Anglais sont les peuples fondateurs du Canada est un mensonge.
S'il y a deux peuples fondateurs, ce sont les Premières nations et les
Français, une rencontre de deux univers. Ils ont partagé le territoire, les
coutumes et le temps.
Les Anglais ont occupé un sillon tracé auparavant par des européens comme
eux. N'allez pas dire cela à un conquérant, vous vous porterez en porte-à-faux
de la colonisation.
Le colonisateur a ceci de particulier qu'il a toujours raison et que ce qui
existait avant lui n'existe pas.
Cela dit, votre film montre avec une belle sensibilité votre attachement au
territoire du Québec et votre déchirement de ne plus y vivre.
Mon identité vit au Québec. Je parle du territoire. Elle n'est d'aucun
parti, même si certains ont fait ma fierté. Je pense au crédit agricole de
l'Union nationale, de la Révolution tranquille de Paul Sauvé et de Jean Lesage,
du Parti Québécois, de René Lévesque à Lucien Bouchard. Après, plus rien.
Je ne me sens pas Canadien, au sens de vos deux peuples fondateurs. Omar
Sharif, acteur égyptien, disait mon passeport est Égyptien. Voilà. Ce 150è
anniversaire est un selfie éhonté.
S'il y a un pays composé d'européens, il date de 1603, au moment où le
Français Samuel de Champlain et le chef montagnais Anadabijou ont conclu une
alliance de vie. Notre pays, le vôtre et le mien, fête donc cette année ses 414
ans.
Je vis très bien avec le fait que des nations aient vécu ici avant nous.
Ces gens avaient une connaissance intuitive et pratique du territoire et de son
rythme. Encore aujourd’hui, ils le connaissent mieux que nous.
Je vis très bien avec le fait que ces gens soient nos ainés, que nous leur
devons beaucoup et que nous devons les écouter davantage, surtout de nos jours.
Tout ce qui reste à faire, c'est de l'affirmer. C'est tellement simple,
c'en est bête.
Ce qui reste à faire de votre côté, c'est de reconnaitre l'apport
fondamental des Premières nations et la présence européenne avant vous. Ce ne
devrait pas être compliqué, c’est une évidence. Et ça ne vous enlève rien.
Votre 150è a l'air pâlotte à côté du 375è de
Montréal. En fait, il nous rend tous un peu ridicules. Je parle de vous et de
moi. Pendant ce temps, les Premières nations se bidonnent solide.
À partir de cela, votre attachement au Québec est le même que le mien. L’attachement
ne parle aucune langue. Il se pratique en silence.
À la maison chez nous, les porteurs d'eau et les nés pour un petit pain
n'ont jamais existé. Les patrons anglophones et les colonisés non plus. Exister
dans le sens d’être un problème.
Ces notions existent dans mon histoire, mais pas dans ma famille et pas
dans ma tête.
Papa était un entrepreneur en construction. Sans prétention aucune, il
n'avait peur de personne et de rien. Il disait parfois, je pourrais bâtir des
cathédrales. C'était comme ça.
Sans prétention aucune, je peux aussi bâtir des cathédrales. Je ne vous
servirai donc jamais de discours de colonisé.
Pour faire court, ma langue est le français, mon ADN est beaucoup
autochtone et mes schèmes de pensée sont britanniques. Je me sens touriste à
Paris et chez moi à Londres.
Voilà. Je comprends votre peine et en même temps non. Vous n'avez pas à revendiquer
qui vous êtes, vous l'êtes déjà. Vous n'envahissez pas mon territoire, nous
sommes tous les deux de nouveaux arrivants. 414 ans, contre 10 000 pour nos
ainés, avouez que nous faisons touriste. En québécois, on fait pic pic.
Bref, voilà mon cher John, notre premier contact. Saluez votre mère, votre sœur, ainsi que votre
famille française, italienne, grecque, écossaise, jamaïcaine, ukrainienne et
irlandaise.
Vous voyez, nous sommes déjà de proches parents.