Ce midi, Nat m’a apporté une tomate de son jardin. Sur la table du resto
italien Artigiani, la tomate se sent chez elle. Elle ne dépare pas, rouge sur
nappe blanche, entre deux pizzas. Rouge, blanc, vert.
Je suis allé une fois en Italie. Cela se passait à La Conception, dans les
Laurentides. Le regard des yeux noirs de la dame italienne traversait les
miens, pour aller consumer l’intérieur de mes côtes. Cette femme était du feu.
Elle n’a pas loué ma maison, mais j’ai vu l’Italie.
Il y a des yeux comme ça. Ceux de cette infirmière, vissés dans les miens.
Nous confirmions la décision de ne pas réveiller papa en cas de décès. Je ne
vois que les yeux, il n’y avait peut-être pas d’infirmière autour.
Nathalie Roy a tout d’une Italienne. Le feu, les yeux, la voix, le bronzage
et la blouse blanche.
Nat est d’Italie, de Turquie, du Portugal même, catalane plus qu’espagnole.
Elle peut t’enfoncer un argument entre les oreilles avec le sourire et tu
le prends en riant.
Je soupçonne les tomates de Nat de ne pas avoir le choix de pousser droit.
Six plants de belles grosses tomates rouges. Même les écureuils n’y touchent
pas. Ils marchent les fesses serrées dans son 450.
En rentrant chez moi, je réalise que j’ai oublié ma tomate sur la table. Il
est dangereux pour une tomate de se retrouver seule dans un resto italien.
Je suis allé la chercher ce soir. La tomate de jardin est libre, elle ne
porte pas de marque. Ce sont les meilleures, dit Nicolas le serveur.
J’ai déposé la tomate sur deux boîtes à pizzas chaudes. Deux Mamma Mia, sur
St-Denis, en Italie.