jeudi 9 novembre 2017

Cette nuit



Cette nuit, je suis allé chez une femme autochtone. J’ai demandé le nom de sa fille à sa mère, à sa sœur, assassin.

Avant de disparaitre, la femme autochtone a été perdue. La femme perdue disparue assassinée autochtone porte mille noms.

Je voulais sentir son air, ses vêtements. Quand mes enfants étaient bébés, je sentais souvent leurs cheveux. L’odeur est notre première identité.

La femme autochtone porte en elle la vie de ses ancêtres. Elle est faite de cercles, d’eau, de vent, de feu et d’arbres. Retrouver la femme disparue n’est pas si difficile. La pensée autochtone s’étend sur dix générations, trois avant et sept après.

Il s’est passé quelque chose au pensionnat. Le lien familial a été coupé. Tuer l’Indien. C’était voulu par les gens de ma ‘gang’.

Avant de disparaitre, la femme autochtone a pensé retrouver son lien dans le quartier Downtown Eastside, à Vancouver. C’est la plus grande réserve au pays.

J’ai déjà marché dans un parc de Downtown Eastside avec mon ami Charles. Il fallait éviter les seringues. Il n’y a pas de lien dans une seringue.

La femme autochtone perdue a fui par la route. Elle est devenue disparue et assassinée. Le génocide suit son ordre.

Ces femmes ont droit à un service particulier. À témoin, ce policier. Dès qu’il a su que la femme disparue qu’il cherchait était autochtone et non blanche, il a coupé le contact avec la famille. Un spécialiste du lien.

Je ne sais pas pourquoi les Blancs ont peur des autochtones. Leurs histoires sont fantastiques. Maudit que l’école était plate.

Sortir la femme autochtone de sa communauté, c’est arracher l’écorce de l’arbre. Faire disparaitre une femme quand on sait qu’il n’y aura pas d’efforts pour la retrouver, c’est du bonbon pour un tueur.

Elle ne doit pas être très loin. Ce cercle à la surface de l’eau, elle est dessous. La goutte de rosée sur l’herbe, c’est elle dans les bras de sa mère. Et la poussière qui tournoie dans le ciel.

L’indifférence est un lien coupé. Nous sommes les premiers tueurs.

Un soir, en partant de Rosemère, j’ai laissé une paire de souliers sur le toit de mon camion. Arrivé à St-Laurent, un s’était envolé. Pendant deux jours, j’ai déduit dans ma tête le parcours de 21 km.

Le seul endroit où il avait pu s’envoler, c’est dans la courbe menant à la 15 sud. L’accélération. Je suis allé voir. Le soulier m’attendait sur le bord de la route.

Pour retrouver une femme autochtone disparue, il faut chausser ses souliers.




1 commentaire:

  1. "L’indifférence est un lien coupé. Nous sommes les premiers tueurs.", merci Luc. Très touché par ce texte. J'ai toujours pensé qu'il y a pire que la haine, c'est l'indifférence. Une mort. Le cadavre est, pour paraphraser l'autre célèbre strabique dans ses "Mains sales", "irrécupérable". En droit, règle générale, la personne disparue n'est pas considérée comme morte, elle est disparue, la porte reste ouverte, l'espoir est vivant. Si c'est une règle générale juridique, elle n'est pas toujours généralisée chez l'humain, elle est à géométrie variable, une question de proximité dit-on, cela signifie une indifférence ciblée, qui écarte, tue, enterre, laisse pour mort, hausse les épaules. La femme Autochtone n'est pas un femme, un être humain, c'est une Autochtone, pas grand monde ne chaussera ses souliers pour la chercher, que veux-tu, nous sommes "irrécupérables". Ludewic

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