lundi 25 décembre 2017

Cette façon de donner



Yves Boisvert est journaliste. Il écrit des chroniques dans lapresse+. Je ne lis pas
lapresse+, je n’ai pas de tablette. Je lis Boisvert à l’occasion dans lapresse.ca.
 

Pierre Foglia, la référence de plusieurs générations en matière de chroniques, a dit de
Boisvert qu’il serait le chroniqueur des vingt prochaines années.


Yves Boisvert dit de Foglia qu’il a inventé un style journalistique. Nous naviguons en
eaux claires.


À l’époque du papier, la filiation était évidente. Yves Boisvert écrivait dans la page A5 du
journal La Presse, la même page que Foglia. À l’ère numérique, les pages web ne
portent plus de numéro, comme si le facteur cessait de livrer le courrier à domicile.


Yves Boisvert sert les textes comme on dépose les assiettes sur une table. Il place les
mots, vous faites votre idée. Foglia écrivait comme ça.


Le non-dit est le siège de l’intelligence.


Je viens de lire Les molécules crochues entre François Chartier et Barcelone, dans
l’édition du 24 décembre de lapresse.ca. Le succès du sommelier François Chartier à
Barcelone. En principe, rien à se jeter par terre. Une chronique sur un certain bonheur.


C’est juste une histoire de trois amours entre un sommelier et un René Angelil catalan,
le même sommelier et le vin, et encore le même sommelier et une belle sommelière.


Je ne connais pas la sommelière. En amour, la sommelière est toujours belle.


Bref, Yves Boisvert. Il place ses observations une après l’autre et vous vous promenez
lentement dans son récit.


Il n’est pas donné à tout le monde de laisser penser les gens par eux-mêmes.


Dans un contexte où tout un chacun cherche une tribune pour dire ce qu’il pense, même
à qui ne veut pas l’entendre, cela fait du bien de penser tranquille.


Il y a deux types d’écritures. Celle qui pense à votre place, et l’autre.


Type 1 : La dame était en colère.
Type 2 : La dame a levé les poings et a frappé sur la table. Les couteaux, les fourchettes, les cuillers ont levé un moment dans les airs et sont retombés synchros, dans un bruit de métal sur bois.


Lisez Le juif errant est arrivé, du journaliste Français Albert Londres. Dans les années
30, il fait pendant plusieurs mois le tour des communautés juives d’Europe. Cela donne
un article d’une page par jour pendant 27 jours. Dans le livre publié chez Arlea, le récit
compte 93 pages.


Lorsque Londres décrit ce petit ruisseau d’excréments traversant la maison d’une famille
juive d’Europe de l’est, les mots sentent les égouts et l’errance.


Il s’agit non pas d’être pour ou contre, mais de tremper sa plume dans la plaie. Il y a
dans cette phrase tout l’enseignement du journalisme.


Lorsque l’auteur est pour ou contre, le lecteur lit l’auteur. Lorsque l’auteur décrit le petit
ruisseau d’excréments qui traverse la maison d’une famille juive d’Europe de l’est, le
lecteur lit l’histoire.


Cette approche demande de l’humilité et de la retenue. L’histoire se déroule dans la
zone ténue de la simplicité. C’est aussi un peu plus que cela.


À l’agence Cossette, on nous apprenait à nous adresser à l’intelligence du public. Ce
n’est pas une technique d’écriture mais une attitude.


Cette façon de donner un cadeau et de dire passe-moi le beurre.




1 commentaire:

  1. "on nous apprenait à nous adresser à l’intelligence du public", bravo à cette agence de l'avoir enseignée, mais il aurait fallu que l'industrie au grand complet le fasse. C'est encore plus d'actualité aujourd'hui, où politiciens et média en font fi.

    Bonne Année à toi
    Thomas

    RépondreSupprimer