samedi 29 décembre 2018

Le monde du silence



J’étais un taiseux, dit le cinéaste Jean-Claude Labrecque.

La phrase débute à dix-neuf minutes et cinquante-huit secondes du documentaire Labrecque, une caméra pour la mémoire, de Michel Le Veaux.

Elle se termine à dix-neuf minutes et cinquante-neuf secondes.

Une seconde pour parler du silence.

Un taiseux capte l’attention.

Une seconde de silence, c’est le début de deux secondes, de trois secondes et de quatre.

C’est comme l’alcool. Le premier verre que je ne bois pas m’emmène au deuxième que je ne boirai pas.

Certaines personnes ne supportent pas le silence. Comme une peur de tomber dans l’oubli.

Jean-Claude Labrecque fait du silence un art.

Comme Maurice Richard. Son regard bruitait plus fort que tous les mots.

Il m’arrive dans mon cours de garder le silence durant six ou sept secondes, après une explication.

Une rosée se pose sur l’herbe.

On s’était donné comme mandat que, pour une fois, la caméra écoute, dit Jean-Claude Labrecque, à propos de son film La nuit de la poésie.

Dans La nuit de la poésie, la caméra écoute les poètes.
Dans les Jeux de la XXIè olympiade, la caméra écoute les athlètes.

Voir un film qui écoute, c’est lire un roman. J’écoute ma voix intérieure.

Jean-Claude Labrecque est un écrivain. Certains plans sonnent comme des phrases.

Un jour, son fils Jérôme me montre un plan réalisé par son père. Tu me corrigeras, Jérôme, c’était au Séminaire de Trois-Rivières.

La caméra passe au-dessus d’un escalier. La rampe en bois verni descend en colimaçon, comme une vis sans fin.

Le même sentiment de vertige qu’à la lecture de Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Márquez.

J’ai vu une caméra écouter un escalier.

Le silence est proche du charisme. Je me suis approché de l’escalier.

Je me suis aussi approché du journaliste Pierre Nadeau. Il était de moins en moins journaliste et de plus en plus producteur.

Le concepteur Cédric Loth et moi lui présentions une proposition publicitaire pour son émission Les grands procès.

Pierre avait passé une grande partie de sa vie à informer la mienne à la télé.

Il nous écoutait. Un grand journaliste est d’abord un petit garçon.

J’ai rencontré une fois Jean-Claude Labrecque. Jérôme, le réalisateur, et moi, avions un tournage extérieur de nuit, une pub pour C’est bien meilleur le matin, l’émission radio de René-Homier Roy, à Radio-Canada.

Jean-Claude Labrecque voulait connaitre davantage la technologie numérique.

Nous avons passé la nuit à filmer à bord d’un camion, en compagnie de la réalisatrice de radio Louise Carrière, de René-Homier Roy et de l’équipe.

Entre les scènes, Jean-Claude Labrecque causait technique avec son fils.

Je ne me souviens pas de lui avoir parlé. J’ai dû le saluer, comme ma mère m’a élevé.

J’ai passé la nuit à écouter.





vendredi 16 novembre 2018

Cours de français Doug Ford



Allons-y lentement. Tirer sur une plante ne la fait pas pousser plus vite.

Ne pas confondre hot dog  et hot doug.

Le second est une insulte aux chiens.

Intelligence : passons au mot suivant.

Aimer : ne pas conjuguer avec francophone.

Le joual est une langue colorée et précise.

Exemple : mon gros tabarnac.

Une phrase, c’est un sujet, un verbe et un complément.

Exemple : mon gros tabarnac.

Le verbe est dans le ton.

Joual. Langue de résistance, développée par les femmes montréalaises pour contrer l’anglicisation de leurs maris au travail, dans les années 40, 50 et 60.
Merci Michel Tremblay.

Joual. Langue d’émancipation de tout un peuple. Merci Les belles-sœurs, merci André Brassard.

Belle-sœur : épouse de ton frère, celle qui te poursuit pour une question d’argent.

Argent : c’est devant une piastre que tu connais ton homme. Merci papa.

Vulgarité. Image de marque de la famille Ford.

Progressiste. Mot français. Rien à voir avec conservateur ou Ontario.

Cachette. Jeu pour enfants. Voir Caroline Mulroney. Voir Justin Trudeau. Voir pleutre.

Bière. Première politique du gouvernement élu en Ontario, préalable au verbe roter.

Culture. Voir intelligence.

Phoque. Otarie, comme dans Qu’est-ce qu’une otarie? Merci Jean-Guy Moreau.

Français. Première langue non-autochtone en Grande tortue. Première à courir l’Amérique dans les pas des nations autochtones. Merci Serge Bouchard.

Français. Langue fondatrice de l’Amérique du Nord, à la suite des langues autochtones.

Ignorance. Territoire borné sur tous ses côtés.

For english, dial nine.


jeudi 15 novembre 2018

La musique en héritage



Je regarde Osama Elhady sur youtube. Il est sur une scène, accompagné des deux autres membres du groupe HOH, lors d’une émission de télé égyptienne.

HOH a joué au Festival du Monde arabe de Montréal, vendredi dernier.

On dit d’Osama Elhady qu’il est le meilleur guitariste d’Égypte, le meilleur du Moyen-Orient. Le meilleur au monde?

Dans les années 90, j’emmène mes deux plus vieux au studio Tempo. Nous enregistrons une musique pour une pub McDo.

Je suis excité à l’idée de faire vivre l’ambiance d’un studio à mes enfants. Ils vont rencontrer Jean-Marie Benoit, un fabuleux guitariste.

Nous passons au McDo chercher des Joyeux festins. Heureusement, car mes jeunes n’ont été impressionnés ni par le studio, ni par Jean-Marie. Et pourtant.

Nous offrons parfois des choses aux enfants pour nous faire plaisir, prétextant faire cela pour eux.

Comme les inscrire à l’école privée.

Mes deux filles sont allées à Villa-Maria au secondaire. Monsieur Gignac, le directeur de l’époque, avait dit aux parents nous allons faire de vos filles de meilleures personnes.

Voilà un gros mandat pour une phrase aussi courte. J’ai acheté cette proposition.

Dix ans plus tard, Camille terminait son secondaire. J’ai écrit à la direction et à quelques professeurs.

Madame Johanne Ouimet
Coordonnatrice, 1re, 2è et 3è secondaire
Collège Villa-Maria

Bonjour madame Ouimet,
Samedi dernier, lors de la cérémonie de graduation de ma Camille, sa sœur Stéphanie se demandait si vous étiez présente. Ce n’est pas un hasard. Avec talent, vous avez grandement contribué à faire de mes filles de meilleures personnes.

À une époque, votre nom revenait régulièrement à la maison. Vous avez toujours eu la confiance et l’affection de mes filles. C’est beaucoup.

Je vous remercie pour votre originalité, votre énergie et votre efficacité. Le travail des membres d’une institution d’enseignement est impalpable. Heureusement, les meilleures logent en un endroit unique pour les filles, le cœur et l’esprit.

L’école privée est un coup de dé. Mon fils a eu moins de chance.

J’ai grandi enrobé de musique, la voix de basse de papa.

Mes enfants ont grandi avec la guitare de leur papa, gêné de chanter.

La musique en héritage.

Avez-vous aimé votre journée, les enfants?

Le meilleur guitariste, c’est toi, papa.









jeudi 1 novembre 2018

La voix de la mère


La scène aligne des gens de deux continents : l’Europe, la Grande Tortue et l’Amérique du Nord.

Le respect de l’Histoire est le premier pas vers l’autre.

De gauche à droite, Alice Zeniter, romancière française, d’origine algérienne. Benjamin Stora, historien français, né en Algérie. Michelle Audette, militante Innu, et Stanley Vollant, chirurgien Innu, nés en Grande Tortue.

Le mot-clé est colonisation, ce moment où j’ai cessé de t’écouter. Je suis passé des mots aux chiffres.

Le débat Autochtones, histoire coloniale : comment composer avec l’héritage du passé?sera animé par Jean-François Nadeau, né en Amérique du Nord, journaliste au quotidien Le Devoir.

La rencontre se déroule dans le cadre de l’évènement Le Monde festival avec Le Devoir.

Trois nations, trois approches, trois niveaux de discours.

Nous sommes dans la salle Bourgie, au Musée des Beaux-Arts de Montréal, vendredi dernier. C’est plein.

Le rhume de Jean-François Nadeau lui fait oublier le nom de famille Zeniter.

Il pose des questions en français stratosphérique. Quelque chose m’échappe. Marianne, sors de ce corps.

Benjamin Stora parle du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne.

Michelle Audette répond au téléphone. Une de ses filles jumelles. Elle a besoin de la voix de sa mère.

Benjamin Stora la regarde et bafouille.

Maman fait des tatas à l’écran.

Alice Zeniter parle de son dernier roman.

Michelle Audette met un doigt sur sa bouche. Maman ne peut pas te parler.

Cette femme a un charme à faire fondre un iPhone.

Le siège du fauteuil de Jean-François Nadeau défonce. Il anime debout.

Stanley Vollant parle de bois, de tente, d’épinettes, de feu, de tradition orale, de grand-père.

Le mot Québec ne veut pas dire là où la rivière rétrécit, mais descends icitte. Jacques Cartier n’a pas écouté.

Il parle de douleurs de la chair, des pensionnats, d’enlèvements.

On vient porter un nouveau fauteuil.

Michelle Audette et Stanley Vollant parlent comme on donne.

Ils donnent un cadeau. Ils donnent à réfléchir. Ils offrent la parole des anciens aux jeunes.

La parole de la Terre, la voix de la mère.

Ils nous donnent la permission de les recevoir sur leurs terres.

Nos souvenirs s’accrochent davantage à l’émotion qui résulte d’un discours qu’à son contenuécrit mon ami Gilles Trudeau, dans son livre Discours gagnant.

Les Premières nations d’ici n’ont jamais été conquises. Les Français, oui.

Le bâton de rêves qui accompagne Stanley Vollant lui donne la force de parler en public.

La foule applaudit.

Elle est conquise.





dimanche 21 octobre 2018

Je ne suis pas Canadien


Je ne suis pas Canadien.

Le Canada est un pays bâti sur le vol de terres et sur une politique d’État raciste et génocidaire.

Tant que ces questions n’auront pas été admises et trouvé leur solution, je ne pourrai pas être Canadien.

Le comédien égyptien Omar Sharif n’était pas égyptien. Né à Alexandrie, en Égypte, il disait mon passeport est égyptien.

Mon passeport est canadien.

Il faut tuer l’indien dans l’enfant résume la politique d’État raciste et génocidaire du Canada. Ce sont les mots du premier premier ministre canadien, John A. Macdonald.

Bienvenue dans la confédération canadienne.

Pour tuer l’indien dans l’enfant, il fallait une mentalité. La doctrine de la découverte, la bulle papale Romanus Pontifex, des rois, des explorateurs et des colons.

L’idéologie est une chose immatérielle. Elle traverse les corps et les esprits. On l’appelle parfois la bêtise.

Pour tuer l’indien dans l’enfant, il fallait des outils. La loi sur les indiens, les pensionnats, les enlèvements, du harcèlement, de la haine et des réserves.

Pour tuer l’indien dans l’enfant, il fallait des gens. Des politiciens pour voter des lois et étouffer l’espace vital, des curés pour laisser venir en eux les petits enfants, des médecins et des infirmières pour signer de faux actes de décès et sortir les enfants des hôpitaux, des familles pour les adopter, d’autres curés pour mentir l’histoire et enseigner l’ignorance.

Je ne suis pas historien.

Lisez Two Families, de Harold Johnson.
The Inconvenient Indian, de Thomas King.
Reconnaissance et exclusion des peuples autochtones au Québec, de Camil Girard et Carl Brisson.
1491, de Charles C. Mann. La vie des autochtones avant Colomb.

Le peuple rieur, Récits de Mathieu Mestokosho, de Serge Bouchard.
Lisez tout Serge Bouchard, ce sera plus simple.

Le rêve de Champlain, de David Hackett Fischer.
Commission Vérité et réconciliation. Je vous mets au défi de vous rendre à la fin du tome 1.

Regardez des documentaires. Trick or Treaty?Kanehsatake 270 ans de résistance, d’Alanis Obomsawin. Je suis en train de regarder tout Obomsawin.

Ce silence qui tueLa ligne rouge, de Kim O’bomsawin.
La série 1491, diffusée sur APTN et youtube.

Le nord au cœur, parcours d’un géographe, de Serge Giguère. Ne serait-ce que pour entendre la poétesse Innu Joséphine Bacon raconter le cercle dans l’imaginaire autochtone.

L’empreinte, de Carole Poliquin et Yvan Dubuc. J’y ai confirmé mon identité.

Allez dormir à l’Hôtel musée Premières Nations, à Wendake. Ouvrez la porte patio et écoutez la rivière.

Pablo Rodriguez est un ami. Pablo est aussi Ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme, à Ottawa. Vendredi dernier, il a dit il y a encore des communautés canadiennes au sein desquelles des gens sont victimes de racisme systémique, d’oppression et de discrimination. 

C’est plus que ça, Pablo. Tout ton pays est miné par cette gangrène. Cette terre d’accueil dont tu te dis si fier, celle de mes ancêtres, est volée.

Tu as le mandat de trouver une nouvelle façon de dire les choses. C’est la noblesse du politique.

Lis Le grand retour, de John R. Saul. Les cent dernières pages, Les mots des autres, de chefs autochtones.

L’avocate Innu Marie-Claude André-Grégoire dit les Premières Nations du Canada n’ont jamais été conquises. Les Français oui mais eux, non.

Il faut réécrire l’histoire, dit Serge Bouchard. Vingt-cinq livres et vingt-cinq films.

Ce qui nous ramène à Two Families, de Harold Johnson.

C’est l’histoire de la rencontre avec les Anglais, vue par les Premières nations de l’Ouest. Les autochtones accueillent les Anglais et disent bienvenue chez nous. Nous allons vous protéger, vous et votre reine Victoria.

C’est comme tomber dans les rillettes de maman.

Tu es quoi d’abord? demande ma fille Camille.

Je suis curieux.




mardi 2 octobre 2018

Maintenant point


On a mis un point après le mot Maintenant.

Le thème publicitaire électoral du parti Coalition Avenir Québec (CAQ) s’écrit donc « Maintenant. ».

Je ne sais pas si un mot fait un thème.

Règle générale, le point indique la fin d’une phrase : sujet, verbe, complément, point.

Maintenant. n’est pas une phrase. Le point donne de l’assurance au mot.

Le mot maintenant nous dit je m’assume.

Une phrase sans point à la fin laisse le lecteur en suspens

Le diable est dans les détails.

Ce thème a été développé par le concepteur-rédacteur Luc Mérineau.

Maintenant. a été reconnu comme étant le meilleur thème de la campagne électorale.

Il y avait effectivement une synergie entre le mot et l’élection possible de la CAQ. Pas dans quatre ans, maintenant.

Ma chère CAQ, c’est à ton tour de te laisser parler de pouvoir.

Reste à voir si le nouveau premier ministre va incarner ce mot.

Il est possible que Maintenant. demeure un mot. Comme Pour faciliter la vie des Québécois sont restés des mots.

Barack Obama, l’ancien président des États-Unis, incarnait ses mots.

Sa deuxième campagne électorale avait pour thème Forward, pas de point après.

Le soir de sa réélection, son discours d’acceptation tournait autour de Forward.

Dans la publicité du parti Démocrate, Forward est présenté comme un hymne, deux coches au-dessus du thème.

Pour la voir, il suffisait de cliquer https://www.youtube.com/watch?v=1GOwfCSiuGg

À une minute quarante-six secondes, un guitariste joue une Gibson J-200 acoustique, la guitare la plus sexy de l’univers.

Forward.

Je ne vois pas des nuées de gens descendre dans la rue chanter Maintenant, mais bon.

Par la suite, la plupart des allocutions de Barack Obama parlaient Forward, une vision de l’Amérique, un frisson dans le dos.

Tout avait commencé avec Yes we can, le thème de sa première campagne.

Élire un président Noir aux États-Unis mettait la table.

Le frisson dans le dos s’est calmé le pompon depuis.

Incarner veut dire représenter une notion abstraite sous une forme matérielle et visible (merci Usito).

René Lévesque et le Québec.

François Legault, le nouveau premier ministre du Québec, n’est pas Barack Obama; il parle de rassemblement.

Il a passé une partie de sa vie à faire flyer des gens en avion.

Voyons si avion copine avec action.

Les sceptiques seront con-fon-dus, disait le capitaine Bonhomme. Nous étions tordus de rire.

Ça fait du bien de se faire du bien.





samedi 15 septembre 2018

Des mots qui n'existent pas


Mon ami s’appelle Normand, en l’honneur de Jacques Normand, merveilleux personnage public des années 50 et 60, entre autres, co-animateur de l’émission télé Les Couche-tard, en compagnie de Roger Baulu, dit le prince des annonceurs.

Son prénom lui a été donné, comme à chacun chacune.

Normand s’appelle aussi Chiasson, de par son père.

Normand vient d’avoir une idée. Une autre.

Celle-là me plait particulièrement.

Je dis à Normand j’adopte ton idée. Je la fais mienne. Mais je ne peux me l’approprier.

Le mot approprier évoque une propriété forcée, presque volée. Je ne suis pas propriétaire de l’idée de Normand, ni des miennes.

Je reconnais à Normand la paternité de l’idée. Paternité n’est pas propriété.

Jean Lesage est le père de la Révolution tranquille, pas le propriétaire.

Nous ne sommes pas propriétaires de nos enfants.

Je ne peux pas m’approprier le passé de Normand. Je n’ai pas grandi dans le quartier Villeray.

Moi, blanc, caucasien, je ne peux m’approprier l’histoire de l’esclavagisme africain, non plus que des génocides arménien, juif, rwandais ou autochtones. Cela me semble une évidence.

Par contre, je peux parler de la Doctrine de la découverte, de la bulle papale, de la prétention des européens, dès le seizième siècle, d’imposer leur mode de vie aux Africains et aux autochtones d’Amérique, en vue de leur faire connaitre les bienfaits de notre civilisation.

Je peux démonter la mécanique blanche canadienne, raciste, religieuse et génocidaire, des politiques des pensionnats autochtones, des enlèvements d’enfants, des femmes disparues et assassinées. La connaissance de l’anglais est utile.

Je peux critiquer en long et en large cette mentalité étroite, perverse et toujours bien en place, à Québec comme à Ottawa.

L’appropriation culturelle est une impossibilité dans les termes.

Nous avons pourtant consacré notre été à en discourir, au point de censurer deux productions.

Robert Lepage et Betty Bonifassi ne sont pas exactement des deux de pique.

Dans Le procès, de Franz Kafka, Joseph K est accusé d’il ne sait quoi et ne le saura jamais.

Joseph K est le personnage principal. On ne verra jamais ses accusateurs. Ce sont pourtant eux qui créent l’angoisse.

J’imagine facilement un spectacle traitant de l’histoire du Canada sans un seul autochtone.

Cela s’appelle un éléphant dans la pièce.

Cet été, l’artiste Aly Ndiane a déchiré sa chemise sur la place publique pour condamner le spectacle SLAV, sous prétexte de manque de Noirs.

Cette chemise lui appartenait.

Le Festival international de Jazz de Montréal a fait dans ses culottes, et dans nos mains.

Dans les belles années de l’agence Cossette, nous misions sur l’intelligence du public.

Le Festival a eu peur de l’annulation de prestations d’artistes en contestation de SLAV. Ni une ni deux, il a annulé SLAV.

On se croirait dans le Carnaval des animaux; certains spectacles sont plus égaux que d’autres.

Le Festival nous a empêchés de faire notre idée.

Plus tard, les productions Park Avenue Armory ont eu peur du spectacle Kanata, sous prétexte de manque d’autochtones.

Tout du brun.

Tout ça pour des mots qui n’existent pas.






samedi 1 septembre 2018

Un air de famille



Demain, je déménage un pot à paparmanes.

À paparmanes veut dire que le pot est destiné aux paparmanes. De paparmanes, le pot est rempli de.

Il a la forme d’un baquet, comme dans l’expression heille baquet.

Baquet serait parent en quelque part de bacaisse, mais pas comme dans swing la bacaisse. Cette bacaisse-là est un instrument de travail. La chose n’est pas claire.

Baquet, c’est un monsieur dont le tour de taille fait plus que son tour d’épaules.

Les anciennes petites bouteilles de bière, en plus bacaisses.

Le pot est en vitre. Un couvercle dodu le coiffe comme un pompon.

Une bande rouge ceinture la taille, avec des pois blancs en imprimé. La bande est cerclée d’un motif de broderie.

Un vrai pot de grand-mère.

Ce pot appartenait au comptoir de cuisine de maman.

Lorsqu’elle déménageait ou passait l’été au chalet, le pot suivait d’un comptoir de cuisine à l’autre.

Bien que je ne sois pas un mangeux de paparmanes, je trouvais les roses plus jolies.

Ma fille Camille a hérité du pot à paparmanes de maman. Ces dernières années, il a contenu des arachides.

À partir de demain, le pot de paparmanes contiendra des paparmanes roses de l’Arbre à paparmanes du cousin Fred Pellerin, de Sainte-Élie-de-Caxton.

Lorsque je les ai achetées, la dame était très fière de son arbre et de notre Fred.

J’ai été impressionné par l’accueil des résidants de Saint-Élie. Ceux qui n’aiment pas le phénomène devaient être bien cachés, je ne les ai pas vus.

Bref, je n’avais pas le goût d’expliquer à la dame que mon achat était une affaire de famille.

Fred est mon cousin, de la même manière que les Panneton, Pellerin, Bellemare et Gélinas sont cousins.

À force de se croiser dans les mêmes villages durant des générations, les familles en sont venu à se décroiser le croisement.

La belle-mère de mon oncle Achille Bellemare s’appelait Angélina Bellemare.
Ma tante Jacqueline Panneton et son mari Marcel Pellerin étaient parents quelque part.

Je suis parent quelque part avec Fred Pellerin.

Ce quelque part est la part du flou, celui qui rend le ténu possible.

Je parle de Fred, ça sonne bien dans une phrase. Vous ne risquez pas d’entendre mon nom dans un de ses monologues.

Cet après-midi, j’ai lavé le pot à paparmanes.

Demain, Camille quitte la maison.

Elle emmène avec elle sa grand-mère dans Villeray, le pot de paparmanes roses sur le comptoir de cuisine.

Il y avait de l’eau chaude dans le pot et sur mes joues.

Un jour, la famille est partie.

Un autre jour, la parenté est arrivée.






mercredi 22 août 2018

Quinze minutes en dix



Le réseau américain PBS présente le documentaire Our Man in Tehran, du réalisateur Roel van Broekhoven.

Je pense à mes étudiants de cegep.

Le journaliste néerlandais Thomas Erdbrink, correspondant du New York Times en Iran, est notre homme.

À la pause-café, ils plongent dans leur écran.

Ce film dure quatre heures.

Le cours dure deux heures trente.

L’épisode 2 est sorti le 14 août. Le premier, en 2013.

L’Iran et les États-Unis sont les deux personnages principaux. L’enjeu : l’image.

Trois périodes de cinquante minutes, ponctuées de deux pauses de dix minutes, qui en durent quinze.

Entre l’ambassadeur américain en Iran et le journaliste du New York Times en Iran, je choisis le journaliste.

Une période de cinquante minutes est rythmée de contenus de quinze à vingt minutes, sinon l’attention s’effrite.

Marié à une photographe iranienne, Thomas Erdbrink parle parfaitement le farsi.

Lorsque les visages s’allongent, c’est le temps de la pause.

Thomas Erdbrink part à la recherche de la culture iranienne et, dit-il, de ses silences.

Plusieurs se lèvent pour fumer ou café. Les dix qui restent sont scotchés à leur écran.

Quatre heures. Cinq fois cinquante minutes. Presque deux cours complets sans bouger.

Si on répète pendant vingt ans à un enfant qu’il est bien de mourir en martyre pour sa religion et son pays, plusieurs finissent par le croire.

Si un jeune passe dix ans les yeux rivés à son écran, plusieurs finissent par penser que c’est ça la vie.

Le monsieur iranien responsable des contenus diffusés en Iran demande à Thomas Erdbrink de ne pas présenter l’Iran comme un pays de demeurés.

Il n’a pas dit demeurés, il a dit arriérés.

Ce film est l’exact opposé d’un étudiant de cegep.

Il est long et lent.

Ils sont nerveux, pressés et portables.

Il faut du temps pour détricoter des mentalités, comprendre comment les choses se pensent.

Seul le téléphone est qualifié d’intelligent.

À la fin, Thomas Erdbrink choisit son pays.

Le cours commence.