samedi 20 janvier 2018

Un mot de huit lettres



J’ai devant moi le mot phobie. C’est un mot de six lettres qui veut dire peur de, six lettres aussi.

Phobie est un mot à la mode. C’est une peur à en perdre parfois la raison. À voir des phobies se faire tirer à la mitraillette, des gens ont certainement perdu la raison.

Lorsque certaines personnes voient une araignée, elles hurlent et virent folles. En regardant tout ce bordel, l’araignée est tordue de rire, pliée en huit, un pli par patte.

Elle dit elles sont folles ces humains. Notez comment l’araignée mêle allègrement le masculin et le féminin. Personne ne peut l’accuser d’homophobie ou de femmophobie.

Que fait le gars qui a peur de l’araignée ? Il l’écrase. Ça coûte moins cher de mitraillette et le résultat est le même.

Le poids d’une araignée est celui d’un courant d’air. Pour un gars de 200 livres comme moi, écraser un courant d’air, c’est une victoire de peureux.

Aussi bien sortir un tank. Vous remarquerez que, une fois écrapoutie, l’araignée fait encore peur, elle écœure.

La phobie tue l’objet de la peur, pas la peur.

La phobie est un phénomène irrationnel et incontrôlé. Comme l’inquiétude. Une personne inquiète est une personne inquiète; même la police n’y peut rien.

Pour contrer sa peur de gens comme moi, mon pays suggère une journée nationale contre les peureux des araignées.

Nous sommes dans les nébuleux sables mouvants de l’inconscient.

Quand j’étais petit, il fallait avoir peur des Anglais. Je n’ai jamais su pourquoi.

Cette peur ne venait pas de mes parents, ils ne parlaient pas idiot. Elle venait des copains de l’école, du vent, de la rumeur, de nulle part. Du besoin d’avoir peur. Comme cette sorcière qui allait attraper ma cheville lorsque je sautais dans le lit.

Il y a trois ou quatre ans, je reçois un appel d’une dame que je connais.  Elle veut ab-so-lu-ment me voir.

Elle parle tout bas. Le volume bas injecte une dose de vérité au mystère.

La fin du monde nous guette tous, qu’elle me dit. Tu dois protéger ta famille. J’ai coupé court et gentiment. Je vais bien, merci, il ne vaut pas la peine de nous rencontrer.

Elle avait pourtant raison : Trump a été élu.

Bref, je n’agresse pas l’araignée parce qu’elle est méchante, mais parce que j’ai peur.

Quand j’étais petit, personne ne portait de casque ni à vélo ni au hockey. Je ne me souviens pas d’un seul accident.

Nous faisions du taxi bottine dans les tempêtes de neige, accrochés aux pare-chocs des autobus.

Mon cousin Louis conduisait le vélo les yeux bouchés, tandis que je pédalais et le guidais.

Je n’avais pas peur, Louis non plus, ma mère non plus, sa mère non plus.

Grandir, c’est danser avec les loups.

Aujourd’hui, tous ces plaisirs sont sources de peurs; les écoles ferment à la moindre chute de neige.

Je ne touche plus aux araignées depuis longtemps. Elles sont utiles et propres dans ma maison. Elles éliminent des insectes en silence et je paie le chauffage, de vrais colocs.

Nous sommes amis. Nous ne parlons jamais de religion.




dimanche 14 janvier 2018

Les partys de Jean de Sève



(Note: Lorsque j’ai appris qu’il y avait eu un décès dans la famille de Jean, j’ai pensé qu’il s’agissait de sa femme. D’où ce texte. Je me suis trompé; la dame décédée est sa sœur. Jean souhaitait lire le texte. Le voici, mon cher Jean).

À l’agence BCP, les partys d’été s’appelaient les partys de Jean de Sève.

Au milieu des années 80, BCP trône en tête des agences francophones du Canada. Ses bureaux sont nichés aux 19e et 20e étages de l’édifice OACI, rue Sherbrooke, angle Metcalfe.

Dans la toilette des gars, à la création, une photo collée au babillard montre une étiquette de vêtement Made in Turkey, Fabriqué en Dinde. Sous la photo, écrit à la main Ok les gars, qui a fait cette pige? Jacques Bouchard.

Le soir, le junior s’imagine que la créativité vient d’une caisse de bière du dépanneur et de cigarettes, piquées dans le bureau de Jacques Chalifour, responsable du compte d’Imperial Tobacco.

Comme le ti-cul qui se croit bon au hockey parce qu’il porte le numéro 9.

Un matin, le directeur artistique Richard Péloquin entre dans son bureau complètement vide. Tous ses meubles sont dans la toilettes des hommes. Et nous le laissons replacer son mobilier tout seul.

Un midi, en rentrant du lunch, mes meubles sont tous dans mon bureau, mais à l’envers.

Le graphiste Toan Nguyen est rebaptisé Toan Tremblay.

Lorsqu’il passe devant une porte fermée, Daniel Jaros, chef de groupe à la création, donne une grande tape en plein milieu. Juste faire sauter les gens à l’intérieur.

Lorsqu’il ne se passe pas grand-chose, un directeur artistique suggère Hey, les gars, on se fait un casting de bikinis.

Les rédacteurs étaient niaiseux aussi, mais autrement.

Chaque matin, le président Yves Gougoux fait sa tournée des corridors. Salut Michel, salut Albert, salut Luc, salut Pierre. Salut Yves.

Lorsqu’Yves vient travailler en shorts, c’est parce qu’il est en vacances.

Le party se déroule sur la ferme de Jean, sur la rive sud.

La table de pool est dans la grange grise au silo rouge. Celle de la photo facebook de Jean.

Hugues Marquart arrive avec sa Cadillac blanche décapotable. Une fois le moteur arrêté, il refusera de repartir. Le moteur, pas Hugues. Les beaux malaises.

Jacques Sauvé, VP sur le compte de Chrysler jase avec tout le monde. Jacques m’a appris les bases du métier.

Il fait beau.

Les hot dogs, le blé d’Inde, les niaiseries circulent dehors.

Il n’y a pas de classes sociales chez Jean de Sève.

Une partie de la gang va dormir dans la grange.

Jean, je soupçonne ce beau groupe d’être allé à tes partys pour avoir du fun, mais aussi pour te remercier d’être là.

Aujourd’hui, tu es en deuil de Jeannine. C’est à notre tour d’être là.




samedi 6 janvier 2018

Demain




Mon ami Jean-Pierre Denis n’a pas de cafetière chez lui. C’est voulu.

En été, Jean-Pierre sort de la maison, tourne à droite sur Ontario, marche jusqu’à la boulangerie pâtisserie, angle Papineau. Ce faisant, il marche, ne pense à rien et à tout, à tout surtout. Il achète son pain, cause avec la pâtissière et boit son café en rentrant.

Jean-Pierre préfère la communauté à la cafetière.

Le documentaire Demain ne parle pas de cafetière. Cyril Dion et Mélanie Laurent montrent des initiatives de partout pour repenser nos communautés.

Pris isolément, ces exemples paraissent gentils. Colligés dans un film de deux heures, ils apportent une énergie nouvelle au mot demain.

À Todmorden, en Angleterre, Pam Warhurst fait pousser des légumes sur le parvis de la gare, du poste de police, chez le médecin. Le mouvement Incredible Edible veut atteindre l’autosuffisance en 2018.

En Normandie, en France, Perrine et Charles Hervé-Gruyer pratiquent la permaculture, un rendement multiplié par dix.

En Suisse, la banque Wir émet le franc Wir depuis 1934 ; 60 000 PME adhérentes encouragent leur économie en achetant entre elles.

En 2008, à Reykjavik, en Islande, la Révolution des casseroles a réécrit la constitution du pays.

La ville de San Francisco pratique l’économie circulaire et vise le zéro déchet d’ici à 2020.

Le maire de la municipalité de Kuthambakkam, en Inde du Sud, fait cohabiter des castes autrefois séparées, et transforme la ville.

Une constante : demain débute chez nous. Si chacun chacune adopte le point de vue de chez soi, la planète devient le chez nous de tout le monde.

Demain ne parle pas d’environnement, mais de révolutions tranquilles dans nos environnements. Les solutions viennent de nos façons de penser.

Il m’arrive d’accompagner Jean-Pierre au café.

En hiver, nous ouvrons la porte, tournons à droite sur Ontario, marchons jusqu’à Papineau, à la boulangerie pâtisserie. Ce faisant, nous marchons, parlons de tout et de rien, de rien surtout. Il achète son pain, nous causons avec la pâtissière et nous buvons notre café en rentrant.

Nous ne manquons jamais de mots, juste de temps.

Demain, c’est Lucky Luke et son fidèle compagnon Jolly Jumper, marchant vers le soleil couchant, chantant I’m a poor lonesome cow boy, I’m a long long way from home.

Demain, c’est l’enfant qui ferme les yeux, espérant de beaux rêves jusqu’au petit matin.

Demain, c’est l’optimisme du cerveau et la musique originale de Fredrika Stahl.

Ce genre de demain-là.

Il y a une autre bonne nouvelle.

Entre nous et demain, il y a nécessairement une distance de temps. Cette distance est vide, personne ne peut présumer de quoi elle est faite.

Or, Demain sait de quoi demain sera fait, il le montre.

Demain préfère la pâtissière à la cafetière. Demain, c’est aujourd’hui.






vendredi 5 janvier 2018

Accro à facebook



Ce matin, dans sa chronique du journal Le Devoir, le journaliste Fabrice Vil raconte être Accro à facebook.

Vous écrivez, monsieur Vil, que Bien sûr, facebook est un outil spectaculaire dont je ne pourrais me passer. Eh bien, je vous annonce que oui. Vous pouvez vous passer de facebook, comme des milliards d’hommes et de femmes s’en sont passé, depuis les débuts de l’humanité. Ils et elles ne sont pas morts inutilement.

Je me sers de facebook pour annoncer la publication d’un texte comme celui-ci sur mon blogue.

Vous évoquez dans votre texte que, grâce aux données relatives à l’ensemble de nos interactions (…) Mark Zuckerberg est donc au courant des articles que je lis dans Le Devoir, de mes allées et venues sur Uber et de ma vie sur Tinder.

Je vous rassure. Mark Zuckerberg ne s’intéresse pas à vous, de la même manière que ses allées et venues vous ne vous intéressent pas.

Il y a 30 ans, mon ami Bory est retourné vivre au Niger. Nous avons longtemps correspondu par lettre. Depuis une vingtaine d’années, c’est le courriel. Je l’ai eu au téléphone, il y a quelques jours. Le bonheur dépassait de loin les médias sociaux.

Médias sociaux est un pléonasme, comme monter en haut ou tous unanimes.

Ce qui alimente facebook, c’est votre inquiétude. Savoir que vous ne pouvez vous en passer. Ce moment fragile dans votre vie confirme sa raison d’être.

Cela s’appelle une béquille.

Vous savez certainement que ces sentiments font partie de la relation marketing souhaitée entre facebook et vous.

Ce qui dérange facebook, c’est votre démarche actuelle. Vous êtes en sevrage depuis novembre 2017. Vous avez fermé l’application. Vous ne comptez pas la remplacer et vous vous en portez bien.

Votre travail n’est pas fini : J’apprivoise aussi l’idée d’effacer mon compte Instagram, mais j’ai peur de ce qui adviendrait. Je vous rassure, il n’adviendra rien. Les gens se passent aisément de ce que vous publiez sur Instagram.

Je n’utilise pas Instagram et personne ne m’en veut.

Facebook n’est qu’une nouvelle façon de commercer les relations à l’ère du numérique. Le téléphone de Graham Bell a rempli la même fonction au début du XXè siècle. Et l’imprimerie de Gutenberg au Moyen-Âge.

Le nouveau de tout cela n’est pas la communication, mais la vitesse.

Ceci dit, oui, le phénomène médiatique mondial de facebook intéresse. Mais sérieux, nous n’utiliserions plus le téléphone que nous n’en mourrions pas, comme des milliards d’hommes et de femmes qui, depuis…

Si facebook disparaissait complètement d’un coup, les gens trouveraient d’autres moyens d’entrer en relation. La nature raffole du plein.

Vous écrivez le mot affranchir pour décrire votre démarche. Le dictionnaire propose aussi le mot assumer. En toute amitié, je vous en suggère le mot grandir.